Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1849 > Octobre > 27

27 octobre [1849], samedi matin, 8 h.

Bonjour, mon tant doux aimé, bonjour, mon Victor, bonjour. Qu’êtes-vous donc devenu depuis hier ? À quoi sert que je vous aie suivi sur la montagne des martyrs [1] ? À moins que ce ne soit pour mon supplice perpétuel ? Alors le but est bien rempli et je n’ai rien à désirer de plus de ce côté-là ; mais parlons peu ZÉ parlons bien. Si c’est possible, dites-moi ce qui vous a empêché de revenir hier au soir puisque le mauvais temps n’a jamais été un empêchement pour vous ? Est-ce que vous avez eu encore quelques… chiens à fouetter ? Je penche à croire plutôt que vous ne m’aimez plus et que tous les prétextes vous sont bons pour vous dispenser de l’affreuse corvée de venir me voir quelques minutes tous les jours. Convenez que toutes les apparences me donnent trop raison et que si cela n’est pas vrai, c’est malheureusement bien trop VRAISEMBLABLE [2]. Aussi je suis triste au fond de l’âme et j’essaie de rire de mon malheur pour n’en pas pleurer jusqu’à la mort. J’espère que tu viendras de bonne heure, mon Victor adoré, et que tu me rabibocheras de la triste soirée d’hier par une bonne longue séance aujourd’hui.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 283-284
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse
[Souchon]


27 octobre [1849], samedi soir, 8 h.

Je m’étais dépêchée de rentrer chez moi, mon Toto, pour ne pas perdre une des rares minutes que tu [voudrais  ?] me donner. J’ai trempé ma chemise inutilement puisque tu n’es pas venu. Maintenant je ne sais sur qui compter et je n’ose pas me livrer à un espoir qui ne se réalisera probablement pas plus ce soir qu’hier et que les soirs précédents. Je ne te fais aucun reproche mon bien-aimé car, dans aucun cas, ils ne pourraient servir la cause de mon amour. Mais intérieurement je suis décidée à prendre le seul parti digne de nous deux dans cette circonstance. Si tu veux que nous en parlions tranquillement ensemble je crois que je suis assez forte pour soutenir la conversation sur ce sujet douloureux mais raisonnable. Si cela t’ennuie ou te gêne laisse-moi faire et avant peu je t’aurai débarrassé de tous ces vieux fers usés que tu traînes avec une courageuse patience qui m’humilie quand elle ne me navre pas. Laisse-moi chercher le moyen de mourir sans bruit et sans scandale loin de toi. Je veux t’épargner jusqu’à l’ombre d’un remords. Pour cela il n’est rien que je ne fasse et je tiendrai à honneur de te donner cette dernière et suprême marque d’amour. Il y a déjà bien longtemps que je me prépare à ce lamentable sacrifice. Je crois que le moment est venu de m’exécuter avec générosité si je veux éviter le sort réservé à toutes les femmes qui ont le tort de vouloir être aimées trop longtemps. Mon Victor adoré, tout ce que je te dis là n’est guère amusant, cela tient à ce que mon esprit descend de plus en plus parmi les rêves sombres [3]. Il y descend si avant et si longtemps qu’il n’a plus la force ni le loisir de remonter au ciel et au bonheur. Pardonne-lui et pardonne-moi. Tout cela finira du reste aussitôt que tu voudras. Peut-être tout de suite si tu dis un mot, car mon amour est capable de tout.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 285-286
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse
[Souchon]

Notes

[1Montmartre.

[2Juliette Drouet joue avec le vers de Boileau : « Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable. » (Boileau, Art poétique, chant III.)

[3Citation du poème « Dans l’église de *** », Les Chants du crépuscule, XXXIII, 4.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne