Jersey, 19 mars 1854, dimanche après midi, 3 h.
Oh ! cette fois vous êtes dans votre tort et c’est sur vous que pèsera la responsabilité de ma prochaine crevaison, ce dont je ne suis pas fâchée, entre nous soit dit. Le docteur sort de la maison ; il m’a recommandé de nouveau l’exercice, plus les frictions sèches sur la peau, le bicarbonate de soude, la bièrea et les viandes noires. À part les frictions et les promenades ça [a] toujours été mon régime depuis plus de deux ans, ce qui ne m’a pas empêchée d’incliner de plus en plus vers la tombe, à l’instar du nez du père Aubry [1]. Tout cela serait lugubre si ça n’était pas si indifférent. Aussi je m’en fiche comme de deux pères Collet. Je viens d’avoir une fausse peur en prenant le tapage de l’anglais [Stewart ?] à la porte d’entrée pour votre vacarme personnel quand vous trouvez l’hus fermé ; heureusement que ça n’était pas vous ! Quel malheur s’il m’avait fallu avoir quelque chance de soleil et de bonheur ! L’air n’est pas fait pour moi, tu n’en asb pas besoin. On sait ses classiques [2]. Du reste j’aime mieux cela, je m’embête, je [rougis ?], je bisque et je me pléthorise et vive l’amour ! Maintenant voilà le vent et le froid qui commencent à se montrer, il est probable que dès que le soleil sera couché vous aurez la grandeur de m’offrir cette promenade dans le port et que j’aurai la petitesse de refuser avec emportement. Nous serons tous les deux dans notre droit. Quant au devoir il deviendra ce qu’il pourra, ça n’est pas mon affaire, n’en étant pas compagnonne (du devoir). Sur ce, mon petit homme, je vous broche quelques baisers en attendant que vous m’en brochiez quelques uns à votre tour.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16375, f. 110-111
Transcription de Chantal Brière
a) « bierre ».
b) « n’as ».