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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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29 juillet [1849], dimanche matin, 7 h.

Bonjour, mon inépuisablement bon bien-aimé, bonjour. Bonjour, comment vas-tu ce matin ? Encore bien fatigué, n’est-ce pas ? Mais aussi pourquoi ne pas limiter ton travail, ton obligeance et ton dévouement dans une mesure raisonnable ? Tu feras tant qu’un jour tu tomberas sous le fardeau de toutes ces choses. Quant à moi si j’étais avec toi toujours, je crois que je trouverais le moyen de te forcer à vivre un peu comme tout le monde. Malheureusement ma sollicitude est impuissante à cette distance et j’ai le regret bien amer de sentir que je te suis inutile. Mais n’entamons pas ce chapitre parce que je m’y enfoncerais avec rage et que je n’en sortirais qu’après avoir épuisé tout ce que j’ai de tristesse et de découragement, ce qui serait un peu long. Cher adoré bien-aimé, je viens ajouter à mon tour à tous tes ennuis, après avoir déblatéré contre ceux qui t’en accablent, pour te prier de faire faire à Toto l’article de Vilain et les quelques lignes sur la Notre-Dame pendant qu’il en est temps encore [1]. Quant à la bonne mère Sauvageot, je vois par ce que tu m’en as dit que c’est presque impossible et j’en suis bien contristée parce que je le lui avais formellement promis, que c’est pour cela qu’elle a refusé la rectification et qu’en somme j’aurais été heureuse de lui faire ce plaisir pour la complaisance sans borne qu’elle a pour nous. Mais, à l’impossible aucun événement n’est tenu, je le sais et je m’y résigne en t’aimant par-dessus tout au monde.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 213-214
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse


29 juillet [1849], dimanche matin, 11 h.

Dieu créa le monde en six jours et se reposa le septième, à ce que dit L’Événement de ce temps-là. Mais toi, plus infatigable que le bon Dieu, tu travailles six jours de la semaine et tu pioches le septième. Cette manière de critiquer l’activité du père Éternel est aussi téméraire qu’imprudente et pourrait bien te jouer un mauvais tour si tu n’y prends pas garde. D’ailleurs on vient de voter une prorogation de six semaines [2]. Il me semble que ce n’est pas pour donner le loisir aux représentants de toutes les nuances de carder des matelas, de faire des livres, de poser des sangsues et autres divertissements aussi légers que désagréables. Si cela était je protesterais de toutes mes forces contre cette fameuse prorogation et je demanderais qu’on vous envoie tous en vacances sur les PONTONS [3], ce qui serait encore plus récréatif et moins fatigant. Je demande pour ma part quinze bons grands jours, y compris les nuits, de chemin de fer à gogo, des levers de lune à indiscrétion et de couchers de soleil encore plus, sinon je me révolte et je demande la révision de la constitution et de son auguste famille. Je fais des barricades et je recommence les horreurs des journées de Juin, prenez-y garde Toto. C’est pour n’avoir rien voulu concéder que le gouvernement de Juillet est tombé par la Révolution du mépris. Pensez-y et tâchez d’éviter l’imminente catastrophe en me concédant quinze jours de grande route et d’auberges sans chambre à deux lits.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 215-216
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

Notes

[1Le 5 juillet, Juliette Drouet s’est engagée à agir en faveur de Lelion, dont la maquette de la cathédrale de Notre-Dame est présentée depuis le 4 juin 1849 à l’Exposition nationale des produits de l’agriculture et de l’industrie.

[2L’Assemblée nationale va se proroger pour six semaines du 13 août au 1er octobre 1849.

[3Ponton : prison flottante.

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