23 septembre [1845], mardi matin, 10 h. ¾
Bonjour, mon Toto chéri, bonjour, mon petit bien-aimé, quel temps ! Je t’ai attendu pour déjeuner jusqu’à dix heures parce que dans ta petite lettre tu me disais à demain matin. Mais quand j’ai vu la pluie battante et l’heure avancée, j’ai pensé que tu étais resté à Saint-James [1] attendant que la pluie cesse. Malheureusement le mauvais temps paraît devoir se continuer toute la journée. Pourvu qu’il fasse beau vendredi et samedi, c’est tout ce que je demande au bon Dieu. En attendant, ma péronnelle étudie dans des vieux bouquins que M. Dumouchel lui a prêtés. Demain Suzanne ira en chercher un autre chez Varin. Tu nous diras ce qu’il faut que nous fassions pour le Dumouchel. Faut-il y aller dimanche ? Faut-il lui écrire de nouveau pour savoir si cela ne le dérange pas ? Ou faut-il le laisser discrètement auprès de sa femme en couches sans lui rien dire ? Toi seul peuxa nous guider dans ce choix varié de position. D’ici là, je me tiens coi et ma péronnelle aussi. Je te dirai, mon Victor, que je t’ai pris quarante francs pour les besoins de ma maison. J’aurais pu les devoir à Suzanne mais j’ai préféré les prendre dans le sac puisqu’il fallait toujours les lui rendre un peu plus tôt un peu plus tard. Je t’ai fait faire [6 ?] petits paquets de houblon hier moi-même chez le pharmacien. CELA coûte 3 sous le paquet. J’ai vu aussi que tu avais oublié de te baigner les yeux. À quoi sert de te faire de la bonne eau de pavots si tu n’en fait pas usage ? Je n’aime pas quand tu oublies de faire quoi que ce soit qui peut te soulager ou ajouter à ton bien-être. J’ai souvent lieu d’être contrariée, car il ne t’arrive pas souvent de penser à toi. Baise-moi, mon Victor chéri, et viens dès que la pluie aura cessé. En attendant, je te baise bien fort.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16360, f. 314-315
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « peut ».
23 septembre [1845], mardi après-midi, 3 h. ½
Je suis consternée, mon Toto, car voilà un temps qui t’empêchera probablement de venir à Paris aujourd’hui [2] ? Il me semble que tu serais déjà venu si tu avais pu te risquer dans ce hideux déluge ? Je suis triste, mon Victor, je vois avec regret que chaque jour m’apporte une nouvelle déception. Jamais le tour du bonheur ne vient, c’est vraiment décourageant. Si, comme je ne le crains que trop, je ne te vois pas ce soir, je ne sais pas ce que je deviendrai. Tâche de venir, mon Victor adoré. Voici justement le temps qui paraît être apaiséa. Viens ce soir, je t’en supplie de tout mon amour et de toutes mes forces.
M. Alboize est venu il y a une heure m’apporter une lettre de Brest et surtout me parler de son éternelle histoire. Je lui ai dit franchement que je ne croyais pas que tu puissesb le servir auprès de M. de Salvandy dans ce moment-ci. Il a paru très bien comprendre. En même temps je lui ai promis, en ton nom, que tu écrirais à M. Dubois avant jeudi prochain. Tu peux adresser ta lettre au ministère de l’Instruction publique parce qu’il y a un bureau dans lequel il va tous les jours. M. Alboize paraît attacher une importance extrême à cette lettre et à ce qu’elle parvienne à M. Dubois avant jeudi. Tu verras, mon pauvre ange, si tu peux lui rendre ce service que je lui ai promis en ton nom. Il m’a appris dans la conversation qu’il allait se remarier très prochainement, ce qui n’a pas produit le plus petit coup de foudre sur Claire. Cette péronnelle est aussi insensiblec que la belle Arsène et ne veut épouser rien moins qu’un prince chinois [3]. Je ne m’y oppose pas et j’attends qu’il s’en présente un avec une pipe et des bas rouges [4].
J’attends aussi que tu viennesd, hélas ! j’attendrai probablement jusqu’à demain. Je t’aime mon Victor et je voudrais te le dire à toi dans un bon baiser bien tendre.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16360, f. 302-303
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « appaisé ».
b) « tu puisse ».
c) « insemsible ».
d) « tu vienne ».