14 mai [1845], mercredi matin, 11 h.
Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour, mon cher amour adoré, bonjour, mon petit Toto ravissant, bonjour, je t’aime. Tu es beau, tu es doux, tu es charmant, je t’aime. Quand te verrai-je, mon amour bien-aimé ? Je ne le sais pas, mais je sais combien je te désire et quelle joie j’aurai de te voir. Je ne sais pas si tu as séance à la Chambre [1] aujourd’hui, mais dans tous les cas, tu devrais tâcher de dessiner ton chiffre. Je voudrais te donner tes petits mouchoirs tout blancsa, tout prêtsb à moucher ton cher petit nez. Pour cela, j’ai besoin de ton chiffre. Je te dirai aussi, chemin faisant, que j’ai assez longtemps attendu ton loisir pour avoir le droit de ne plus attendre. Je vais, dès aujourd’hui ou demain au plus tard, déballer mes chères petites reliques [2] et les éparpiller dans mon logis comme je pourrai et comme je l’entendrai. Je n’ai pas besoin d’avoir de ravissants petits portraits de vous pour les cacher dans un coin. J’ai besoin, au contraire, d’en avoir beaucoup pour les voir partout et toujours. C’est bien le moins que je puisse avoir. À défaut d’original, la copie, à défaut de bonheur, le souvenir. En attendant, je baise vos yeux, votre nez, votre bouche, vos mains et vos pieds et le reste.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16359, f. 173-174
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « tout blanc ».
b) « tout prêt ».
14 mai [1845], mercredi après-midi, 5 h. ½
La journée a été bien longue et bien triste, mon bien-aimé chéri, j’en vois venir la fin avec bonheur, espérant que la nuit t’amènera auprès de moi. J’ai bien besoin de te voir, mon Victor bien-aimé, pour reprendre courage et confiance. Je suis un peu en dépourvue de ces deux bonnes qualités. La journée d’aujourd’hui a épuisé le reste.
Je suis allée tantôt chez ma propriétaire lui porter les deux baux signés par Lanvin. Elle en a gardé un et moi l’autre. Je pense maintenant que tout est fini et que nous resterons chacune chez nous. Voici ma blanchisseuse. Je reviens.
6 h.
J’ai reçu et visité mon linge, mon amour, sans que vous ayez eu le temps de venir. Il faut que vous soyez bien occupé pour oublier votre pauvre Juju si longtemps. Si ce n’est par amour, ce serait au moins par pitié pour elle que vous viendriez, si vous le pouviez. N’est-ce pas, mon Toto ?
Je me tiens à quatre [3] pour n’être pas très méchante et je ne réussis qu’à être stupide. Je ne sais pas comment tu as le courage de lire de pareilles niaiseries. À force de vouloir contraindre ma pauvre nature et vouloir la convertir en MOUTON, je fais de moi une OIE des plus oies. Décidément, j’aurais peut-être meilleure grâce à être moi, tout bêtementa, et comme le bon Dieu et les absences perpétuelles m’ont faiteb.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16359, f. 175-176
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « tout tout bêtement ».
b) « m’ont faites ».