13 mai [1845], mardi matin, 9 h. ¾
Pour me récompenser de t’avoir à peine vu hier, mon Toto, tu n’es pas venu cette nuit. C’est très logique et très aimable. C’est dommage que je ne m’accommode pas de ces belles raisons-là. Aujourd’hui je suis triste et mécontente. Il me semble que ma gaieté et mon bonheur ne reviendront jamais. Il est probable cependant, que si je te voyais poindre sur le seuil de ma porte cochère, toute ma rancune, tous mes doutes, toutes mes craintes et toute mon amertume s’évanouiraient comme par enchantement et que mon pauvre cœur sauterait de joie dans ma poitrine.
Claire est parti ce matin, reconduite par Lanvin. Elle était un peu souffrante d’un rhume de cerveau et de poitrine qu’elle a commencé hier. Ce ne sera rien mais cela rend tout fiévreux dans les premiers jours. Lanvin m’a fait dire qu’il s’était informé de l’époque à laquelle elle serait appelée [1] et qu’on lui avait répondu que ce serait pour la fin de ce mois-ci ou le commencement de l’autre. Si tu pouvais prendre sur toi de t’informer du Dumouchel de Varin, tu nous rendrais un grand service. Il n’y a juste que le temps nécessaire d’ici à sa convocation.
Pauvre bien-aimé, moi aussi je t’ennuie de ma personne et de mes affaires. Rien ne peut te garantir de cela, pas même l’amour le plus tendre et le plus passionné. À quoi sert d’être admiré et adoré du monde entier et de Juju en particulier si on ne peuta pas échapper au solliciteur de tout sexe et de tout âge ? Vraiment, je te plains.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16359, f. 169-170
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) Juliette dessine un signe pour indiquer la suite de sa lettre en croisillon.
- © Bibliothèque Nationale de France
13 mai [1845], mardi après-midi, 5 h.
Bien vrai, mon bien-aimé, tu avais eu la bonne intention de me venir voir cette nuit ? Je ne t’en veux plus, mon adoré, je ne fais plus que te plaindre de ton mal de pied et me plaindre de ton manque de mémoire et de mon peu de chance. Je suis coutumière du fait, du reste, et il est probable que, pas plus tard que ce soir, il y aura encore quelque anicrochea à mon bonheur. Cela finit par m’agacer et m’attrister au fond de l’âme, car cela se répète trop souvent.
Ma propriétaire m’a apporté les deux bauxb à signer. Je viens de les envoyer à Lanvin pour qu’il les signe tout de suite.
Je suis bien contente que l’acquisition de mon pot t’ait pluc. Je l’avais faited dans cette intention. Tu vois que j’avais en même temps pressenti que nous [ne] pouvions pas acheter le coupon puisque je l’avais pris conditionnellement. Je sens plus que je ne peux te le dire combien tu dois être pris de court pour nos besoins présents et à venir à cause des dépenses excessives que ce déménagement [2] nous a causése. Je voudrais avoir des ressources à moi pour venir en aide aux tiennes.
Cher adoré, je donnerais de bien bon cœur des années de ma vie, inutile, pour des moments de repos et de loisir à toi. C’est bien vrai.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16359, f. 171-172
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « quelqu’anicroche ».
b) « beaux ».
c) « t’ai plu ».
d) « je l’avais fait ».
e) « nous a causé ».