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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 avril [1845], vendredi matin, 10 h. ¾

Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour, mon cher amour adoré, bonjour, mon cher petit Paira [1]. Je voudrais être à lundi pour être bien sûre que la chose est faite. Il me semble impossible maintenant qu’ils ne la fassent pas. Tu n’es pas un B......b [2] dont on peut se jouer pendant huit ans. Aussi j’attends lundi avec impatience. Pendant que vous montez au faîte de tous les honneurs, mon Toto, moi, je décline et je m’enfonce jusque dans les catacombes. La pairie d’une femme, c’est la jeunesse et la beauté. Il est bien injuste qu’elle nous soit si tôt enlevée tandis que vous conserviez vous autres, hommes, vos dignités jusqu’à la mort. Décidément, le rôle de femme sur cette terre n’est pas le plus agréable et le chapeau d’une Mlle Féau quelconque n’est jamais pour nous qu’un affreux bonnet d’âne tandis que vos tricornes sont QUELQUEFOIS de vrais diadèmesc et des couronnes fermées auxquellesd la gloire et l’amour peuvent seuls apporter quelque chose.
Merci, mon Victor adoré, merci pour ma fille et pour moi de ton admirable bonté. J’en suis touchée au fond du cœur et je ne trouve pas d’expression assez tendre pour te dire ma reconnaissance et mon adoration. Je voudrais te voir pour te dire dans un baiser tout ce que j’éprouve. Je t’attends, mon Victor. Hâte-toi de venir bien vite.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 41-42
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « paire ».
b) Juliette a tracé six points.
c) « de vrai diadème ».
d) « auquelles ».


11 avril [1845], vendredi après-midi, 4 h.

Penses-tu à moi, mon Victor, me plains-tu, m’aimes-tu, me désires-tu ? Il ne faut rien moins que tout cela de ta part pour me faire supporter sans crier de toutes mes forces l’insupportable ennui de t’attendre indéfiniment. Dans ce moment-ci surtout, il me semble que je trouve le temps encore plus long et plus maussade que d’habitude. Ne va pas croire pour cela que je suis bêtement désœuvrée et que c’est l’emploi de mon temps matériel qui me gêne et qui m’embarrasse. Bien loin de là, car j’ai toujours plus de choses à faire que je ne peux. Ce qui me gêne, ce qui me fait souffrir, c’est l’inaction de mon cœur. J’ai beau t’aimer, cela ne me sert à rien. Je fais de mon amour le même usage que font de leurs jambes les prisonniers anglais marchant dans une machine toute une journée pour ne pas avancer d’un pas. Je suis condamnée au même supplicea que ces misérables. Mon amour s’agite toute la journée dans mon cœur sans pouvoir jamais s’approcher de toi. Si c’est une punition que le bon Dieu m’envoie, elle est bien féroce et bien longue et je ne sais pas si je n’aimerais pas mieux la mort tout de suite à la vie stérile que je mène depuis près de deux ans. Mon Victor adoré, pardon. Je t’afflige peut-être et je t’ennuie à coup sûr, tout cela parce que je souffre et que je t’aime trop. Pardonne-moi, pardonne-moi, plains-moi et aime-moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 43-44
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « suplice ».

Notes

[1Victor Hugo est déjà membre titulaire de l’Institut quand il se fait nommer pair de France, le dimanche 13 avril 1845. Le 28 avril suivant, il prête serment et siège pour la première fois.

[2À élucider.

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