Guernesey, 14 mars 1860, mercredi matin, 8 h.
Bonjour, mon ineffable bien-aimé, bonjour, que Dieu te bénisse dans tes affections et dans ta gloire autant que tu es aimé et vénéré par moi, et tu n’auras rien à désirer en ce monde.
Comment vas-tu ce matin, mon bien-aimé ? Ta partie de billard a-t-elle mené à bonne fin ta digestion laborieuse ? As-tu bien dormi toute la nuit ? j’ai besoin de te savoir en bonne santé, gai et heureux pour l’être moi-même. C’est donc sur toi que je compte aujourd’hui pour me faire oublier ma mauvaise nuit et me redonner un petit FION [1] de jeunesse et de joyeuseté dont je suis un peu dépourvuea pour le moment. Cependant, j’ai eu la visite de Marquand hier au soir, mais cela ne suffit pas pour me rendre folâtre et pour me faire l’illusion d’un immense bonheur. Il venait te demander si tu consentirais à ce qu’il publiât la lettre de ce brave nègre de Port-au-Prince dans sa brochure, du moins toutes les parties de la lettre qui pourraient être publiées en France [2]. Il pensait te trouver chez moi comme d’habitude mais il reviendra te voir pour te faire lui-même sa demande. Cela me fait penser que je dois une visite à Mme Marquand. J’attendrai un jour plus beau que celui-ci pour la bien faire. Jusque-là, mon cher bien-aimé, je t’aime dans mon petit coin sans craindre les variations atmosphériques de la saison, je t’adore dans mon cœur en tout temps et en tout lieu.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16381, f. 50
Transcription de Claire Villanueva
a) « dépourvu ».