Guernesey, 14 février 1860, mardi 8 h. ½ soir
Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour, je vous aime. Que dites-vous de cette Sibérie… APPRIVOISEE selon le vocabulaire de Suzarde. Dans quel état êtes-vous ce matin et comment avez-vous passé la nuit, mon pauvre petit homme ? J’ai une peur d’ours blanc que vous ne soyez figé à l’état de cristal de roche et qui ne faille vous EXTRAIRE de votre lit à coup de hache. Si cette manière d’endosser votre gilet de flanelle vous plaît cela ne me rassure guère et je préfèrerais vous voir coucher dans la chambre de votre femme en son absence, dans un lit bien chaud et bien capitonné, que de vous savoir perché aux quatre vents dans votre cage de verre. Je sais quel cas vous faites de ma sollicitude et de mes recommandations mais je ne peux pas m’empêcher de vous en parler. Cher adoré c’est une des vives et tristes préoccupationsa pour moi que de te savoir exposé à une souffrance quelconque mais quand j’ai la certitude que tu la subis j’en ai un vrai chagrin, cette souffrance, fut-elle volontaire, pense à moi mon adoré et prends soin de toi je t’en prie, je t’en supplie.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16381, f. 20
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette