Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1844 > Avril > 11

11 avril [1844], jeudi soir, 5 h. ½

Voilà un temps bien lourd et bien noir, mon pauvre Toto, je sens qu’il pèse sur moi comme un manteau de plomb. J’ai beau faire, il m’est impossible de ne pas être sous l’influence de ce vilain temps sombre. Dans cette disposition d’esprit, j’ai envoyé Suzanne savoir si cette pauvre Mme Pierceau existe encore. Dieu fasse que non. J’ai eu la visite de la mère de Clémentine qui venait me prévenir que sa fille ne pouvait pas venir demain parce qu’elle était malade au lit et puis cette pauvre veuve s’est mise à fondre en larmes dans la crainte d’un malheur qui est loin d’elle, je l’espère. Mais, j’ai compris son inquiétude et sa douleur m’a rempli le cœur de tristesse. Tu vois, mon pauvre ange, que mes idées ne peuvent pas être bien roses. Aussi, je voulais ne pas t’écrire pour ne pas t’écrire des pensées plus noires que mon encre mais j’ai craint que tu ne prennes le change sur cette résolution, ce qui fait que je te gribouille cette quantité de lignes que tu feras bien de ne pas lire.

6 h. ¼

Tu viens de voir, mon cher bien aimé, combien je suis maussade, c’est-à-dire triste. Tu devrais m’excuser de ne pas continuer plus longtemps mon gribouillage. Malheureusement je ne t’en ai pas averti auparavant, ce qui fait que je n’ose pas m’arrêter là. Je vais tâcher d’être très aimable. Ce n’est pas facile, mais enfin j’y mettrai toute ma bonne volonté. Tu as oublié ta clef, ce qui t’obligera à sonner ce soir. Il faut convenir que tu as mal choisi ton jour pour mettre des bottes vernies. Il est vrai que je pourrais appliquer à ma tristesse la réflexion que je fais de ta toilette mirobolante. Tu fais ce que tu veux, et moi, je suis comme je veux, voilà tout. Je serais probablement la plus accommodante des femmes, la plus aimable et la plus gaie si je pouvais espérer de te voir toute la soirée mais, hélas ! Je n’espère rien moins que ça, aussi suis-je plus qu’autorisée à être triste et méchante.
Décidément, mon Toto, j’aurais dû ne pas t’écrire. Je souffre trop. J’ai la tête en feu et le cœur noira. Je voudrais mourir. Je sens que je suis si parfaitement inutile dans ce monde, que je n’ai pas le courage d’y vivre pour moi toute seule. Vraiment, je suis découragée au-delà de tout.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16355, f. 35-36
Transcription de Mylène Attisme assistée de Florence Naugrette

a) « noire ».

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne