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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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29 février 1844

29 février [1844], jeudi matin, 9 h. ½

Bonjour mon petit Toto bien aimé, bonjour mon adoré petit homme. Bonjour mon pauvre ange de douceur et de bonté. Bonjour tu es le plus beau et le meilleur des hommes. Bonjour je t’aime. J’ai suspendu mon jugement mais cela ne m’a pas avancée à grand-chose. Je suis aussi avancée ce matin qu’hier. Je resuspendsa [1] de nouveau toute espèce de jugement, nous verrons à quoi cela aboutira. En attendant, j’entends des fumistes qui se hèlent d’un bout de la cheminée à l’autre et je sens qu’ils font une poussière de tous les diables ce qui va m’occuper une partie de la journée à nettoyerb. J’espère bien pourtant pouvoir prendre mon bain ce soir. Il est vrai que je suis très enrhumée encore peut-être sera-ce contraire à ce genre d’indisposition. Je verrai à me tâter d’ici à ce soir.
Mon Dieu, que je t’aime mon Toto. Je t’aime jusqu’à en devenir féroce et stupide. Je t’aime trop, il faut absolument que je me raisonne pour tâcher de t’aimer moins puisque l’excès de mon amour te tourmente et te rend malheureux. Malheureusement je ne sais pas comment faire. J’ai bien envie d’aller chercher ce secret-là aux Iles Marquises ou ailleurs. D’ici là, je tâcherai de suspendre le plus que je pourrai le désir de vous voir et de vous posséder mais je n’ai pas trouvé encore de clou assez fort pour supporter ce poids. Est-ce que vous ne pourriez pas m’en prêter un ?
Jour Toto, jour mon cher petit o, votre cadre est merveilleux et je vous aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 233-234
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « resuspend ».
b) « netoyer ».


29 février [1844], jeudi soir, 5 h. ¼

Eh bien ! mon Toto, j’ai suspendu mon jugement, qu’est-ce qu’il m’en est revenu d’heureux je te prie ? De ne t’avoir pas vu depuis bientôt dix-huit heures ! Si c’est comme cela que tu encourages ma docilité à suivre tes conseils, merci, je sors d’en prendre, j’aime autant me livrer d’avance à tous les jugements les plus téméraires, je serai toujours sûre de n’en avoir pas pire que ce que j’ai en ne m’y livrant pas. Du reste, je n’ai pas pris de bain aujourd’hui faute de cheminée. La mienne, après avoir été visitée par les fumistes, a été plantée là sous prétexte d’aller demander des ordres de réparation au propriétaire. Je suis furieuse, je te prie de le croire et je me propose de laver la tête du portier tout à l’heure. Cependant je vous prie de croire que j’ai supplééa au bain par des ablutions locales et qu’on peut me prendre sans pincettes par plusieurs bouts. Vous pouvez vous en assurer vous-même si vous ne voulez pas me croire. En attendant, je vais faire mes comptes de février, ce qui n’est pas très drôle. J’aimerais mieux une culotte doublée d’une bonne soirée d’amour que le médiocre divertissement que je vais me donner tout à l’heure. [Illis.] c’est comme si je chantais femme sensible et autre complainte.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 235-236
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « supléé ».

Notes

[1Néologisme de Juliette Drouet.

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