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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 février [1844], mardi matin, 10 h. ¼

Bonjour mon Toto adoré, bonjour mon cher petit homme ravissant, bonjour je t’aime.
Comment vas-tu mon pauvre bien-aimé, comment vont tes aphtesa ? (l’orthographe importe peu.) Tu sais que c’est un signe de grand échauffement, il ne faut donc pas passer outre les petits avertissements que nous donne la nature. Il faut te reposer mon Toto et ne pas abuser de tes forces et de ton courage. Ce matin, au moment d’envoyer chercher des huîtres, j’ai pensé que nous pouvions déjeuner à moitié moins de frais et j’ai changé mon menu de deux douzaines d’huîtres en quatre œufs sur le plat. Il m’aurait été impossible de les manger avec plaisir en pensant que tu avais peut-être passé la nuit, quoique souffrant, pour me les donner. Tu me diras que c’est une bien petite économie que celle-ci mais la journée n’est pas encore très avancée. Je ferai tout au monde aujourd’hui pour t’empêcher de te tuer au travail comme tu le fais. Sois tranquille, pourtant ne t’exagère pas résolution. Je ne ferai rien d’héroïque ni de monthyonnique [1] pour une bonne raison, c’est que tu ne le souffrirais pas. Seulement, je retrancherai tant que je pourrais toutes les dépenses superflues. Et j’aurai plus de bonheur en économisant un sou avec cette pensée que c’est une seconde de repos que je te donne, que je n’aurais de plaisir à dépenser mille francs qui m’appartiendraient à moi personnellement.
Je t’aime mon Victor adoré, je t’aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 197-198
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « afftes ».


20 février [1844], mardi soir, 5 h. ¼

Je suis bien malencontreuse mon cher bien-aimé, puisque je ne peux presque jamais profiter des rares occasions dans lesquellesa tu m’offres de sortir avec toi. Ce soir j’aurais eu mauvaise grâce à ne pas me trouver chez moi puisque Mme Luthereau m’a écrit hier qu’elle viendrait aujourd’hui. Tout cela n’est pas très consolant mais il n’y avait guère moyen de faire autrement. J’espère, maintenant que les jours grandissent, que tu pourras trouver plus souvent le moment de me faire sortir et de me faire faire des promenades moins écourtées ? Cependant, je ne veux pas te tourmenter. Avant ma santé, avant mon bonheur, avant ma vie même, ta tranquillité.

20 février [1844], mardi soir, 11 h.

Mme Luthereau m’a interrompue ici puis après sont venues Joséphine et sa sœur.
Force m’a été, mon pauvre amour, d’attendre jusqu’à ce soir pour achever ma lettre. Je te dirai tout à l’heure combien cette pauvre femme a été touchée de ton apostille et de toute ton ineffable bonté. Les écailles lui sont tombées des yeux. Elle comprend maintenant tout ce qu’il y a de vraiment doux, de bon et de charmant, de généreux et d’indulgent dans toute ta ravissante petite personne. J’en suis ravie pour ma part. L’amour est comme la beauté : il aime à se voir dans des miroirs plus ou moins fidèles mais qui reproduisent cependant l’image à peu près. Dieu que je sais mal m’expliquer… Mais je t’aime hélas, c’est aujourd’hui notre anniversaire [2] et tu n’y étais pas… Aussi les anglais se sont emparésb de la place [3] .

BnF, Mss, NAF 16354, f. 199-200
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « dans lesquelles que ».
b) « emparé ».

Notes

[1Néologisme crée à partir du terme « Monthyon » désignant un prix de vertu décerné par l’Académie française.

[2La nuit du 19 février 1833, Hugo avait renoncé à se rendre à un bal de mardi-gras organisé au théâtre du Gymnase pour rester avec Juliette.

[3Métaphore pour les règles car l’uniforme des Anglais était rouge.

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