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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 mars 1837

10 mars [1837], vendredi matin, 9 h. ½

Bonjour mon cher bien-aimé, je t’aime de toute mon âme. Je me suis réveillée de bien bonne heure pour m’être endormie bien tard, aussi ai-je très peu dormi. Il fait un temps délicieux, le soleil est à mes croisées absolument comme au printemps, mais je n’entends pas la voix qui dit : Vivez ! Cette bonne petite voix là se tait depuis bien longtemps avec moi, est-ce qu’elle ne se fera pas entendre bientôt ?
Jour un petit Loto, je vous n’aime [1]. Je vous l’aurais bien prouvé si vous étiez venu, mais on ne peut pas forcer les gens à faire leur bonheur.
Je suis bien triste, mon chéri, de voir que mon portrait est renvoyé aux calendes grecquesa, j’aurais eu tant de joie à le voir fini et accroché à mon mur en face de moi me faisant la grimace. Tout ce que je désire dans le monde ne m’arrive jamais, ou si tard qu’en vérité j’ai toujours acheté une heure de bonheur par une année de désir et d’impatience, ce qui est un peu cher. Eh ! bien non ce n’est pas trop cher, ce n’est pas même assez, car une heure passée dans tes bras vaut mieux qu’une année et même que toute ma vie passée et future sans toi, et je suis trop heureuse et je suis une bête et une vilaine de plaindre. Mon bon, mon cher petit homme, je suis bien bien heureuse, je t’aime et je t’adore.
Jour. Quand que je te verrai ? le temps est fièrement beau pour aller à cheval sur l’impérialeb de la diligence hum ? … Quel cri affreux je pousserai si vous veniez m’annoncer que nous partons dans une heure : QUEL BONHEUR ! D’y penser cela me fait venir l’eau à la bouche. Il vaudrait mieux que ce fût une bonne berline attelée de bons chevaux de poste et vous à mes ordres. J’aimeraisc mieux cela encore que le pot jaune, le vase et le plat d’émail y compris les deux fameux lions. Pourquoi ? Pourquoi ? Parce que je vous aime, voilà. C’est aussi simple que cela et c’est aussi difficile à réaliser que de prendre la lune avec les dents. Pourquoi ? Parce que vous ne m’aimez pas. C’est encore aussi simple que cela et en même temps fort triste pour votre pauvre Juju qui vous aime, elle, de toutes ses forces.

BnF, Mss, NAF 16329, f. 259-260
Transcription d’Érika Gomez assistée de Florence Naugrette

a) « au calendre grec ».
b) « l’impérial l’impériale ».
c) « aimerai ».


10 mars [1837], vendredi après midi, 3 h. ¾

Mon cher petit bien aimé, vous ne pensez donc pas à moi ? À la tristesse qui me ronge quand je suis longtemps sans vous voir ? Depuis si longtemps que vous travaillez, il me semble que vous pourriez vous reposer un peu, ne fût-ce que pour l’amour de moi qui suis bien fatiguée de la vie monotone que nous menons depuis près de trois mois. Ça ne m’empêche pas de t’aimer, au contraire, car tout m’est un sujet de t’aimer davantage ; mais cela m’empêche d’être heureuse, ce qui est bien quelque chose dans cette vie.
Je vois avec regret que le portrait est encore renvoyé à une époque indéfinie. Cependant ce serait bien le cas de profiter du moment où N. [2] n’a pas d’occupation, car enfin ce ne sera pas lorsqu’il sera occupé et qu’il gagnera de l’argent que nous pourrons le déranger. Il me semble que tu n’as pas pensé à cela.
Manière ni François ne sont venus, selon leur louable habitude.
Quanta à vous, mon cher adoré, ce serait plus que de l’indiscrétion que d’exiger de vous que vous veniez deux jours de suite un peu de bonne heure. Aussi je ne vous attends pas avant 7 h. moins une minute. Hélas, hélas ! mon cher petit homme, il y a bien des soupirs arrêtés sur mon pauvre cœur et bien des larmes retenues dans mes yeux. Quand donc tous ces nuages noirs s’en iront-ils pour faire place à mon beau soleil, vous le seul le savez ? En attendant je veux vous montrer bien du courage et bien de la résignation et vous adorer de toute mon âme.
Jour oto, jour petit Loto, je vous embrasse en pincette toutes vos [joues  ?] sans en excepter une seule. Jour, onjour, onjour.

Juju

BnF, Mss, NAF 16329, f. 261-262
Transcription d’Érika Gomez assistée de Florence Naugrette

a) « quand ».

Notes

[1Faute volontaire.

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