7 février [1837], mardi, 5 h. ¾ du soir
Il y a quatre ans à pareil jour que j’étais dans l’attente du plus grand bonheur de ma vie. Ce bonheur vous me l’avez donné et je l’ai gardé fidèlement sans en perdre une parcelle. Mais vous, mon adoré, pouvez-vous en dire autant de celui que je vous ai si libéralement accordé, je ne le crois pas ? Les affections de famille, la gloire sont autant de fissures par lesquelles vous l’aurez laissé évaporer, j’en ai bien peur. Au reste je me rends justice et je sens que mon amour ne peut pas être aussi précieux pour vous que le vôtre l’est pour moi, c’est impossible. Je suis bien reconnaissante de la bonne petite matinée que vous m’avez donnée, c’est d’un bon augure pour la cinquième année de notre amour. Qu’il en soit toujours ainsi, c’est tout ce que je demande au ciel. (Concedibus octo [1].)
Jour mon petit Toto. Viendrez-vous très tôt ce soir ? Ce serait bien digne de vous et je vous en saurais un gré infini. En attendant je pense à vous, je vous aime et je vous regarde dans l’endroit où je vous trouve le plus beau, dans mon âme [2]. Le portrait de N. n’était pas flatté, au contraire [3]. Je désire que vous n’alliez pas au bal sans moi, j’ai mes raisons pour cela.
Si vous tenez à montrer à M. Toto VICTOR HUGO le bal de l’Opéra, je désire être la première à l’intriguer. Vous ne devez pas vous y opposer à moins que vous ne soyez le plus scélérat des hommes, ce dont je ne doute presque pas, et ce qui me retient de vous baiser autant de fois que vous avez des cheveux blancs sur votre vieux crâne de 35 ans.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16329, f. 139-140
Transcription d’Érika Gomez assistée de Florence Naugrette
[Pouchain]