23 avril [1837], dimanche matin, 11 h.
Bonjour mon cher bien-aimé, bonjour mon cher petit homme adoré. Pauvre âme, vous aurez travaillé toute la nuit et pour moi encore. Et c’est ce qui fait que je ne t’ai pas eu ce matin en ma possession. Quel malheur qu’une position comme la nôtre, malheur pour tous les deux car les nuits où tu veilles pour moi, je ne dors pas beaucoup. Je pense à toi avec chagrin et je regrette ces heures de bonheur employéesa à travailler, c’est-à-dire perdues. Je n’ai pas besoin de te dire que ce n’est pas par ingratitude mais parce que je t’aime de toute mon âme et que mon premier et mon seul besoin c’est de te voir. Je me suis réveillée plusieurs fois cette nuit et enfin ne pouvant pas dormir je me suis levée de très bonne heure relativement à l’heure où je me suis endormie. Il fait bien beau au moins pour le moment. Je voudrais que ce temps-là continuât pour toi d’abord, petit homme errant, et ensuite pour moi qui en profiterais peut-être un peu. Surtout si nous faisions un petit voyage. Oh ! je vendrais ma dernière chemise pour cela avec tous les meubles dorés sans réserve. Ici j’ai été interrompue par l’arrivée de Lanvin qui m’apportaitb la nouvelle que M. Pradier ne peut donner la pension qu’au commencement du mois prochain. C’est bien long, pourvu surtout que cette fois il soit exact. Je lui ai donné le numéro de La Presse [1] pour qu’il lui donne. Et puis je t’aime, je t’aime de toute mon âme, de toutes mes forces et de tout mon cœur.
Juliette
BnF, Mss, NAF, 16330, f. 79-80
Transcription de Chantal Brière
a) « emploiés ».
b) « m’apportais ».
23 avril [1837], dimanche, midi ½
Mon bon petit homme bien-aimé, j’espère te voir bientôt aussi je me dépêche de faire mes affaires pour être toute prête quand tu viendras. J’ai un froid excessif, je ne sais pas d’où cela vient car il fait assez beau. Je t’ai dit que j’avais vu Lanvin qui m’a apporté La prière pour tous [2] copiée pour le petit Pierceau. Le pauvre homme était dans un état à faire pitié, vraiment. Il est bien temps que tu viennes à leur secours car tu es leur providence, toi, tu es aussi la mienne. Tu es la lumière et le soleil de toutes les intelligences. Je ne peux pas me retenir de te dire cela, c’est si vrai et c’est si doux de le dire que, ma foi, je m’en donne à gorge déployéea quand tu n’y es pas. Jour mon petit Toto, jour. Si vos goistapious ne vont pas à Saint-Antoine [3] aujourd’hui et si on ne donne pas les mêmes pièces que dimanche passé je vous demanderai une loge pour ce soir à cause du petit Pierceau. Ce pauvre petit garçon n’a de plaisir que celui que tu lui donnes. Quand je le disais que vous étiez notre providence à tous tant que nous sommes, grands et petits, je vous aime sans cela et je vous aime aussi à cause de cela, et puis je vous aime parce que je vous aime. Je t’attends, mon petit Toto, je t’attends, viens vite j’ai besoin de vous voir et de vous baiser. Quand me mènerez-vous chez PASSOIR [4], pas ce soir je sais bien, mais ce calembourb une fois fait, il faut songer à la frigousse [5] qui devrait durer toujousse (pour la rime).
BnF, Mss, NAF, 16330, f. 81-82
Transcription de Chantal Brière
a) « déploiée ».
b) « calembourg ».