Paris, 18 novembre [18]77, dimanche soir, 5 h.
Il m’en a coûté beaucoup tantôt de te laisser aller à ta répétition [1] sans moi, mon grand bien-aimé, et je te supplie de ne pas ajouter à mes regrets l’amertume que tu n’en as pas été fâché. Ne me fais pas repentir de ma discrétion en t’attardant plus que de raison dans cette Capoue de carton et de maquillage. Je suis vraiment triste au fond de l’âme au point de n’avoir pas même le courage de lire un journal. Même la politesse un peu tardive du citoyen Schoelcher, qui m’envoie une entrée au Sénat pour demain, me laisse indifférente. J’attends Louis Koch ce soir mais sans sa femme qui est un peu souffrante. Quant aux autres convives, à part Paul Meurice et Pierre Véron, je ne sais pas du tout ce qu’ils seront et combien ils seront car j’ai perdu le fil de nos invitations. Hélas ! combien il vaudrait mieux, pour moi, perdre la mémoire du cœur que celle de la tête ; au moins j’oublierais de t’aimer, ce qui te serait bien égal et je me souviendrais en temps et heure des personnes que tu aimes à voir et à avoir. Cela viendra peut-être. En attendant, je me souviens trop que je t’adore. A propos, tu t’es trompé sur l’argent que tu m’as donné.
BnF, Mss, NAF 16398, f. 314
Transcription de Guy Rosa