Lundi, 3 h. après midi
Si en ce moment tu penses à moi, et si tu m’aimes, et si tu désires me voir, tu te rencontresa juste avec la pensée de tous mes instants, l’amour de toute ma vie, les vœux de tout mon cœur.
Depuis que tu m’as quittéeb, depuis hier à minuit, je n’ai pas eu une seule minute l’abandon du sentiment que j’ai pour toi, même dans mon sommeil, car j’ai rêvéc de toi délicieusement. Ce rêve m’a conduited jusqu’à mon réveil et depuis je n’ai pas eu d’autre préoccupatione que toi, d’autre besoin que celui de te voir.
Mon cher ange, mon bien-aimé, mon Victor, si tu savais combien je suis malheureuse quand je t’ai affligé, combien je redoute de te déplaire, tu me pardonnerais ce malheur lorsqu’il m’arrive sans conserver d’arrière-pensée.
Il y a une chose certaine, c’est que je ne peux pas vivre sans ton amour. C’est bien dit, et jamais cela ne pourra être autrement parce que je t’aime profondément, parce que j’ai fait de mon amour, mon sang, ma vie, mon âme.
Je viens d’être interrompue par la visite de la lingère de la rue de l’Échiquier [1], je l’ai congédiée de mon mieux.
Mais toi, c’est toi à qui je pense, à qui je veux plaire, à qui je veux dire des paroles d’amour. Le reste, peu importe, ça ne vaut pas la peine de s’en tourmenter.
Je t’aime, aime-moi et nous serons parfaitement quitte et dans nos affaires.
Juliette
La dîneuse n’est point encore arrivée.
BnF, Mss, NAF 16323, f. 271-272
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « rencontre ».
b) « quitté ».
c) « rêvée ».
d) « conduit ».
e) « préocupation ».