5 h. du matin
Puisque je ne peux pas dormir, il faut que je t’écrive, cela abrégera mes souffrances d’autant car quand je t’écris, il me semble que je suis avec toi, que tu m’entends, que tu me plains et que tu m’aimes – comme je t’aime –
Ce que j’éprouve ressemble moralement à une douleur physiquea que j’ai ressentie il y a deux ans en descendant le Mont Cenis à vifb, c’est-à-dire en faisant huit lieuesc en vingt minutes – Cette fois, c’est la route de mon bonheur que j’ai parcourue avec cette rapidité – au risque de mourir de la vitesse de ma course –
Si tu pouvais voir au dedans de moi – tu y verrais comme je suis épuisée, comme ma poitrine est oppressée – mon cœur triste – mon âme abattue. Tu verrais, mon Victor, que ce n’est pas sans danger d’aimer autant à la fois -
Ma plume me tombe des mains, j’éprouve des palpitations à mourir, j’ai un bruissement dans les oreilles – Mes yeux ne voient plus que des flammes. J’ai chaud – je vais à la croisée –
Maintenant, je sens un grand frisson – Je me remets au lit –
Si je pouvais ne plus me réveiller que dans ton âme et dans le ciel – Prie pour moi – je suis si misérable – Je veux te voir encore une fois, rien qu’une fois – et que je devienne ce qu’il plaira à Dieu après – mais que je te dise encore des lèvres et du cœur – Victor, je t’aime.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16323, f. 206-207
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « phisique ».
b) « vif » est souligné deux fois.
c) « lieus ».