Guernesey, 8 décembre [18]64, jeudi matin, 7 h. ¾
Je vous TONNE mon bonjour en même temps que le coup de canon car vous êtes mon cher petit soleil plus rayonnant et plus chaud à mes yeux et à mon âme que l’autre qui baille en ce moment au plus haut des cieux.
J’espère que tu as mieux dormi que moi, pour peu seulement que tu aies fermé les yeux une heure ou deux. Quant à moi, je me lève comme je me suis couchée, mais sans aucune souffrance qu’un peu de fatigue que le bain dissipera tout à l’heure.
C’est ce matin que tes fils devraient arriver dans le cas où le vent furieux de cette nuit ne les aurait pas empêchés de s’embarquer. C’est ce qu’on saura bientôt car le packet [1] de Southampton arrive de bonne heure. Quant à toi, mon doux adoré, je sais que tu n’es pas encore levé mais je ne sais pas si je dois te féliciter ou te plaindre, ne sachant pas ce qui s’est passé pour toi cette nuit. Bon, voici Suzanne qui me tanne pour mon bain, il faudrait pour lui obéir que je me précipitasse dans l’eau avant de t’avoir dit tout ce que j’ai sur le cœur ; mais je ne suis pas si pressée et je me donnerai le temps de t’embrasser, de t’aimer, de te caresser, de t’adorer depuis A jusqu’à Z, telle est ma force.
J.
BnF, Mss, NAF 16385, f. 259
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette