Vendredi soir, 9 h. 10 minutes
Lanvin est revenu. Il est de l’autre côté qui soupe. Il n’a trouvé que la portière à qui il a laissé l’argent en s’en faisant donner un reçu.
J’aurais mieux aimé commencer par nous, mais j’ai fait ce sacrifice à ton exigence méticuleuse, qui s’effraie et s’alarmea des choses les plus simples, et même des choses qui n’existent pas du tout. Pour finir comme j’ai commencéb, je te dirai que Lanvin vient de partir. À présent, il ferme la porte. N’est-il pas absurde qu’ayant les choses les plus tendres à te dire, je sois obligée de me faire attendre pour te raconter les niaiseries ci-dessus ? En vérité, je ne sais pas lequel de nous deux est le plus fou : toi de l’exiger ou moi de satisfaire ton exigence. Je laisse toute récrimination de côté. Je ne veux te dire qu’une seule chose, la chose importante de ma vie, la chose sans laquelle je ne peux pas vivre, je ne dis pas heureuse, parce qu’on peut se passer de bonheur, mais vivre là, vivre en respirant. Cette chose qui m’est tout à fait nécessaire, c’est mon amour. Mon amour qui s’est fait nerf et sang, air et soleil comme si ce n’était pas assez pour lui d’être le sentiment, la religion, la passion de mon cœur.
C’est bien vrai ! Et si je m’afflige, et si je m’irrite quand tu en doutes, c’est que je crois que ce doute peut altérer et diminuer ton amour pour moi. Ainsi, mes brusqueries comme mes caressesc expriment l’amour, toujours l’amour.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16323, f. 96-97
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « allarme ».
b) « commencée ».
c) « caressent ».