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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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8 octobre [1843], dimanche matin, 9 h. ½

Bonjour, mon petit Toto bien-aimé, bonjour, bonjour. Comment vas-tu ce matin, mon pauvre amour adoré ?
La contrariété que j’ai éprouvéea hier m’a donné un mal de tête que j’ai encore. Plus je pense à l’inconvenance et à l’imprudence de la conduite de cette Mme Marre et plus je suis indignée contre elle. Dès que tu le pourras mon bon ange, tu m’y conduiras. Il est urgent de faire cesser au plus tôt un pareil état de chose. Si je ne t’avais pas, mon cher adoré, pour me soutenir et pour me conseiller dans la vie, je ne sais pas ce que je deviendrais. Et si tu ne m’aimais pas, mon Victor bien-aimé, je ne vivrais pas.
Tâche de venir un moment dans la journée, mon cher amour, cela me donnera du courage et de la force dont j’ai bien besoin.
Je vais commencer tout à l’heure la suite de notre voyage [1]. Hélas ! la dernière partie en sera bien triste et bien pénible pour moi en me rappelant l’affreux désespoir dans lequel je t’ai vu. Tant que je vivrai je sentirai au cœur en y pensant la douleur inexprimable que tu as ressentieb en lisant cette horrible nouvelle. Pauvre père, pauvre adoré, que le bon Dieu aitc pitié de toi à l’avenir car tu as bu en une seule fois le calice de toute une vie.
Je voudrais te voir mon Toto, je voudrais baiser tes beaux yeux et ta ravissante petite bouche. Tâche de t’échapper un peu dans la journée. Pense que je suis toute seule loin de toi et que je te sais triste et malheureux. En attendant, mon amour bien-aimé, je pense à toi, je m’occupe de toi, je t’aime, je te désire et je t’adore. Je baise tes chers petits pieds encore, encore et encore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 181-182
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette
[Souchon]

a) « éprouvé ».
b) « ressenti ».
c) « aie ».


8 octobre [1843], dimanche soir, 5 h.

Depuis tantôt je travaille, mon cher adoré, ou plutôt je gribouille du papier pour t’obéir car je doute que cela puisse te servir. Enfin j’y mets toute la bonne volonté que j’ai et si je ne fais pas mieux, je fais de mon mieux. Je ne peux pas faire davantage. Je tâche surtout de ne rien oublier : cette préoccupationb m’entraîne à t’écrire des futilités sans importance, des choses oiseuses et insignifiantes. Je recueille mes souvenirs un peu comme les enfants qui herborisent et qui ramassent aussi bien, et mieux encore, le chiendent que les plantes utiles et précieuses. Enfin je fais ce que je peux et surtout je t’obéis.
Croirais-tu que depuis tantôt que je gribouille je ne suis pas encore arrivée à Auch [2]. Ma plume et mon esprit ressemblent à l’attelage fantastique que nous avions pour y aller, avec moins de danger cependant. Tout ce qui peutc t’arriver de pire c’est de tomber dans un tas d’inepties et de stupidités, ce qui ne meurtrit pas, tandis que nous avons plusieurs fois risqué notre cou dans les onze lieuese qui séparent Tarbes d’Auch.
Je voudrais bien te voir, mon Toto. Cette journée, quoique pleine de souvenirs encore joyeux de notre voyage, m’a paruf bien triste et bien longue. Rien ne peut remplacer un baiser de toi. Le souvenir du plus grand bonheur ne vaut pas un regard de toi. Je le sens aujourd’hui plus que jamais. Tâche donc de venir, mon Toto bien-aimé et tu me donneras du courage et de la patience pour toute la soirée. Je t’aime trop vois-tu mais je n’y saurais que faire. Ce n’est pas ma faute.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16352, f. 183-184
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette
[Massin]

a) Deux croix sont dessinées sous la date.
b) « procupation ».
c) « peux ».
d) « meurtris ».
e) « lieux ».
f) « parue ».

Notes

[1Victor Hugo a demandé à Juliette de relater la fin de leur voyage d’été. Ce récit est publié par Gérard Pouchain, Juliette Drouet, Souvenirs, édition citée.

[2Elle n’est pas encore arrivée au récit de leur arrivée à Auch l’été précédent.

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