10 février [1842], jeudi matin, 10 h. ¾
Bonjour mon bon Toto, comment vas-tu ce matin ? Veux-tu que je te porte ? « PORTE-MOI ». J’ai envoyé cherchera ton emporte-taches ce matin, et on a eu toutes les peines du monde à trouverb le marchand qui est déménagé et qui a transporté sa fabrique et son magasin au quatrième étage de la rue de Beaune, dans un hôtel garni. Dès que je serai levée, je détacherai ton habit, mais j’ai peur que la sauce ne reste. Enfin je ferai pour le mieux, si je ne réussis pas ce ne sera pas de ma faute.
C’est à Lanvin même qu’on a remis la lettre, ainsi il pourra en faire usage tout de suite s’il le veut. Merci pour lui, mon cher petit Toto, tu es la bonté et l’obligeance même, merci de tout mon cœur [1].
Est-ce qu’il y a académie aujourd’hui ? Je ne me souviens pas quand vous devez nommer vos candidats. C’est bien malheureux n’est-ce pas mon Toto ? Et cela doit te faire beaucoup de peine. Porte-moi.
Si la Devilliers ne vient pas aujourd’hui, il faudra absolument y envoyer la mère Lanvin pour s’entendre avec cette vieille sotte d’une manière ou d’une autre. Maintenant il n’y a plus de temps à perdre, soit que ma fille rentre finir le trimestre, soit que je la mette dans une autre pension. Je te dis tout cela sans grande nécessité et probablement pour remplir ce papier blanc de noir. Je n’ai pas, comme La Quotidienne, un imprimeur obligeant qui me supprime la moitié de ma rédaction. Je suis obligée bon gré mal gréc de fournir quelque chose qui ressemble à des mots et à des lignes, et ne pouvant pas en trouver dans ma tête qui est vide, j’en prends dans mon encrier. Cela fait toujours du noir sur du blanc et c’est tout ce que tu veux, n’est-ce pas mon bon petit Toto ?
Juliette
BNF, Mss, NAF 16348, f. 133-134
Transcription de Nicole Savy
a) « cherché ».
b) « trouvé ».
c) « malgré ».
10 février [1842], jeudi soir, 5 h. ¾
J’ai déjà lu ma chère petite lettre dix fois et sans l’arrivée de Mme je la lirais encore. Que tu es bon, que tu es bon mon adoré. Chacun de tes mots est un trésor de douceur et de consolation. Chacun de mes regards est un baiser et une adoration. Mon beau, mon noble, mon sublime bien-aimé je t’aime.
Cette pauvre Mme Franque est aujourd’hui comme j’étais hier, c’est-à-dire en larmes et désespérée. Je désire de tout mon cœur qu’elle trouve comme moi une consolation sinon aussi rayonnante, du moins proportionnéea à son mal. Et moi qui ne voulaisb pas te dire que tu es ma joie, mon bonheur, ma vie, mon âme ce matin, faut-il que je sois bête et méchante. Mais c’est que je me suis joliment punie avec tout ça. C’est DE LA DIGNITE aux dépensc de mon cœur. Merci, j’aime mieux autre chose. J’aime mieux t’aimer de toute mon âme et te le dire à mon aise. J’aime mieux croire que tu m’aimes et être heureuse. Voilà mon genre à moi.
Avec tout ça, je ne vous ai encore baisé qu’en pensée et en désir, ça n’est pas assez. Il me faut votre bec rose, vos dents blanches et le reste. Il me les faut longtemps et beaucoup. Dépêchez-vous de venir cher petit bien-aimé. On vous permet d’être toujours méchant comme hier pourvu que vous soyez toujours adorablement bon comme aujourd’hui. Pauvre ange de douceur et de générosité, c’est à genoux que je t’écris ces derniers mots : je t’aime.
Juliette
BNF, mss, NAF 16348, f. 135-136
Transcription de Nicole Savy
a) « proportionné ».
b) « voulait ».
c) « au dépend ».