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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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25 janvier [1838], jeudi après midi 2 h. ½

Bonjour, mon adoré petit homme. J’espère que tu auras passé une meilleure nuit que moi. Jamais je n’ai été plus souffrantea. Je ne sais pas comment je me traînerai ce soir. Une fois arrivée je ne suis pas inquiète : les beaux vers et les applaudissements me ressusciterontb. En attendant je suis très souffrante et je ne sais plus comment me tenir. Je viens de me mettre dans une si furieuse colère que je ne sais plus où j’en suis. J’ai une bonne si stupide que c’est à y perdre la tramontane. Mon Dieu ! que j’aimerais bien mieux être vous, mon grand Toto, que d’être moi. J’y gagnerais d’abord d’être le plus grand, le plus admiré et le plus aimé des hommes, tandis que je ne suis que la plus bête, la plus misérable et la moins aimée des femelles. Je ne suis pas du tout contente de mon sort et d’ici à 7 h. ½ du soir je resterai dans ce mécontentement jusqu’à ce que vos beaux vers me dérident. Voici ce qui a causé ma colère de tout à l’heure : Suzette m’a apporté une lettre venue par la poste et qui coûtait 3 sous. J’ai reconnu l’écriture, l’enveloppe, et l’espèce de papier qui était dedans pour être de ces fameux billets de bal de l’autre jour. Indignée qu’on se mît sur le pied de m’envoyer de pareilles ordures par la poste, j’ai fait reporterc la lettre chez le portier pour qu’il n’eût plus à en recevoir de pareilles. Cette fille est si bête qu’elle n’a su s’expliquer ni avec le portier ni avec moi, et qu’il m’a fallu faire monter le portier. Au reste maintenant tout est bien entendu, il n’en recevra plus venant de là. Il serait par trop absurde de donner de l’argent pour d’aussi ignobles papiers. Je ne me suis mise si en colère que parce que je souffre beaucoup et que toutes mes paroles me coûtent beaucoup à dire. Jour, nono. J’ai t’y bien fait notre maîte ? oui, grosse bête ! Mme Guérard n’a pas encore envoyé. J’espère que les Lanvin auront reçu la lettre. Je vais me lever. Je souffre horriblement. Jour, mon grand Toto, jour, mon grand Victor, jour, mon cher petit amant bien-aimé. Ce soir mes mains diront : je t’admire, et ma bouche : je t’aime. Bravo ! Bravo ! Bravo ! On dit qu’il gèle bien fort ce matin, tant pis, un peu de gelée ne fait pas de mal, mais beaucoup c’est trop. Adieu, chère âme, à bientôt. Je suis bien malade et bien souffrante, mais je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16333, f. 17-18
Transcription de Nathalie Gibert-Joly assistée de Gérard Pouchain

a) « soufrante ».
b) « rescussiteront ».
c) « reporté ».

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