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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 29 janvier 1853, samedi soir, 4 h. ½

Telle que tu m’as vue tout à l’heure, mon cher petit féroce homme, je n’avais encore commis aucun gribouillis. De là mon air serein qui se changera bientôt en air serine, pour peu que mes élucubrations revêtenta la forme oie, ce qui n’est pas impossible d’après les stupidités que je couve dans ce moment-ci. Ah ! Voilà Suzarde, mais elle ne fait que toucher barre car elle se rend à Saint-Hélier [1] porter une lettre à affranchir pour MADEMOISELLE [2]. La jeune scélérate, sans égard pour le sort de mon pot-au-feu et sans la moindre pitié pour ma goinfrerie, lui a donné cette commission très pressée à faire tout de suite. Je lui pardonne pour cette fois, et pour toutes les autres à venir, mais je tâcherai de prendre mes précautions pour ne pas dîner par cœur [3] comme hier et probablement comme aujourd’hui. Autrement, je deviendrais féroce, même pour ELLE. Il paraît que les journaux sont arrivés, du moins Suzanne a cru qu’on en lisait, ce qui ne prouve pas du tout que ce sont les journaux d’aujourd’hui. Comme tout cela mérite d’être dit et comme cela doit t’intéresser. Voime, voime, c’est palpitant d’intérêt. Mais de quoi voulez-vous que je bourre mes gribouillis si vous renâclez sur ces nouvelles jersiaises et sur cette rédaction iroquoise puisque tout mon cœur tient dans ces deux mots : je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16373, f. 109-110
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « revête ».


Jersey, 29 janvier 1853, samedi soir, 5 h. ½

Cher petit homme, tu as peut-être tort de prolonger ta promenade sous ce brouillard et tu serais bien imprudent si tu la faisais dans un endroit tout à fait désert avec ce qui peut tenter les voleurs, ta chaîne et ta montre. Je ne suis jamais tranquille quand je te sais dehors la nuit, surtout depuis que nous habitons ce pays, car il n’y en a pas de plus commode au guet-apens de toute nature. Aussi, je ne serai pas fâchée le jour où nous le quitterons pour un moins voisin de la police française et de la filouterie anglaise. Mais te voici, la suite au n° prochain.

9 h.

J’en suis pour mes recommandations et j’y persiste plus que jamais, mon petit homme, parce que rien ne serait plus facile que de te faire un mauvais parti le soir, le voleur décompte à demi avec le coupe-jarret Bonaparte. D’ailleurs, s’il ne s’agit que de vous détrousser, j’y suffirai bien seule à cette besogne, témoin mon cher petit shilling d’avant-hier. Il est vrai que je n’ai pas été aussi heureuse dans ma tentative ce soir, mais cela tient à ce que vous vous trouviez dans une maison habitée. Ces choses-là n’ont de chance de succès que dans les lieux déserts et obscurs. En attendant que l’occasion se représente, je me goberge sur mon shilling de veloursa et cela m’est très doux. J’espère même en rêver cette nuit pendant que vous le verrez de votre côté sous la forme cauchemar de : la vie ou un shilling. Sur ce, je vous baise autant de milliers de fois qu’il y a de farthing [4] dans un shilling.

Juliette.

BnF, Mss, NAF 16373, f. 111-112
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette et Gérard Pouchain

a) « velour »

Notes

[1Ville principale de Jersey et port.

[2Vraisemblablement Adèle, fille de Victor Hugo.

[3Se passer de manger.

[4Pièce de monnaie dont la valeur s’élevait à un quart de penny.

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