Guernesey, 28 juin [18]70, mardi matin, 6 h.
Bonjour, mon cher bien-aimé adoré, bonjour, comment ta nuit et comment celle de Petite Jeanne ? Si tu l’as passée bonne et elle aussi, je remercie Dieu et je te souris, et je suis heureuse : QUEL BONHEUR !!! Les Guernesiais continuent d’être en fête ; en ce moment leur musique fait rage à bord de la reine des îles ; on se croirait en Italie en plein seizième siècle. À distance, avec un peu de bonne volonté et malgré le tamtam des ours qui nargue la mesure, on peut se faire illusion. Hélas ! Ca n’empêche pas les grandes âmes de s’envoler vers Dieu et les scélérats de pulluler sur la terre, témoin ce pauvre Barbès qui vient de mourir et Bonaparte qui continue de vivre. Il est bien regrettable, je veux dire bien triste et bien malheureux pour ce noble et généreux cœur que tu ne puisses pas officier pontificalement sur sa tombe le jour de son enterrement. Je suis sûre que son âme en souffrira. Mais il est matériellement impossible que tu puisses être rendu mercredi à La Haye puisqu’il n’y a même pas de bateau aujourd’hui pour l’Angleterre. On aurait dû prévoir cela et ajourner de deux ou trois jours l’enterrement. On ne peut pas penser à tout mais je le regrette pour ce vertueux et vaillant homme et pour toi.
BnF, Mss, NAF 16391, f. 178
Transcription de Jean-Christophe Héricher assisté de Florence Naugrette