Guernesey, 24 juin [18]70, vendredi matin, 6 h. ½
Bonjour, mon cher, cher, cher bien-aimé, bonjour, Je n’ose pas te demander des nouvelles de ta nuit tant je crains qu’elles ne soient pas bonnes. Ce qui me le fait craindre c’est mon peu de sommeil à moi-même et ma propre agitation. J’ai de plus l’inquiétude du parti assez problématique où je t’engage, sans aucune certitude de réussir, tant les choses domestiques et de domestiques sont difficiles à résoudre dans ce fichu pays-ci. Tout cela me tourmente plus que je ne puisse dire. Je donnerais tout au monde pour t’épargner un moment d’ennui ; aussi suis-je très anxieuse et très malheureuse de la mesure que je te conseille, tout en reconnaissant que je la crois non seulement nécessaire, mais indispensable à ta tranquillité future. Enfin j’espère, Dieu aidant, que je ne me repentirai pas trop de ma témérité dans toute cette affaire. En attendant le soleil darde ses rayons les plus brûlants et des rumeurs de joie et de fêtes se font entendre avec accompagnement de musique d’ours [1] dans toute la ville mais mon pauvre cœur n’y prend aucune part. Je n’aurai de gaîté que lorsque je te saurai sorti de ce[tte] vilain[e] impasse où tu es en ce moment. Je t’adore.
BnF, Mss, NAF 16391, f. 174
Transcription de Jean-Christophe Héricher assisté de Florence Naugrette
a) « gaité ».