21 janvier [1838], dimanche après midi, 1 h. ¾
Bonjour, mon adoré, bonjour, mon grand Toto. Comment avez-vous fait pour tenir dans votre lit ? Vous avez dû vous replier en cinq ou six cents doubles. C’est qu’on grandit tant en une soirée comme celle d’hier que vous devez vous trouver bien gigantesque ce matin. Avec cela que vous n’étiez déjà pas beaucoup plus grand que le monde, et moi aussi j’ai grandi car je vous aime autant que vous êtes beau, autant que vous êtes applaudia et admiré moins, et à moins d’admettre, ce qui serait peu logique, que le contenant est plus petit que le contenu, j’ai grandi aussi moi et même je vous ai dépassé sans vanité. L’amour élève autant que la gloire et je vous aime plus que vous n’êtes grand. Oui, mon Toto, oui mon cher Victor, j’ose te le dire parce que c’est bien vrai. Je t’aime plus que tu n’es grand.
Comment as-tu passé la nuit, mon adoré ? Tu n’as pas travaillé, j’espère ? Fatigué comme tu l’étais et dans ton horrible petite glacière ? Je ne peux pas penser à cette chambre-là sans que le froid me prenne de la tête aux pieds.
Je serai bien tranquille le jour où elle sera close et chauffée ; malheureusement il ne paraît que ce soit bientôt. Pendant ce temps-là tu souffres, tu gèles, et moi je me tourmente. Je t’adore, mon Toto bien-aimé, je voudrais mourir pour vous à condition que vous penseriez toujours à moi avec amour et même sans cette condition. Je t’adore, mon Victor.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16333, f. 7-8
Transcription de Nathalie Gibert-Joly assistée de Gérard Pouchain
[Guimbaud]
a) « applaudie ».
21 janvier [1838], dimanche soir, 5 h. ¾
C’est toujours mon tour à attendre, mon cher bien-aimé, cependant il me semble que j’avais fait preuve d’assez de courage et de résignation tous ces temps-ci pour en être récompensée aujourd’hui ?
Je sais bien que tu auras eu tout Paris chez toi aujourd’hui mais si tu m’aimais comme je t’aime tu quitterais tout Paris et le monde entier pour moi. À quoi donc sert la porte de derrière si ce n’est à fuir les importuns et à venir chez la pauvre bien-aimée qui vous attenda avec tant d’impatience et d’amour ? Ce n’est pas la peine de porter sur vous quatre clefs qui vous font ressembler à Hac-tinc-tir-koff de l’Opéra-Comique [1] pour n’en pas profiter dans l’occasion.
Je suis très triste, mon Toto, je crois que vous ne m’aimez plus. Vous êtes toujours l’homme admirablement bon et généreux, mais vous n’êtes plus l’amant plein d’ardeur d’autrefois. C’est bien vrai puisque vous n’en conveniez pas par pitié pour moi. Je suis bien triste, mon Dieu, c’est bien vrai. Je prendrai un jour quelque parti désespéré qui te délivrera de moi, car il m’est doublement insupportable de sentir la froideur de ton cœur et d’accepter ton généreux dévouement. Je te l’ai toujours dit, tu sais, je ne veux rien de toi si tu ne m’aimes plus ! Je t’aime tant, moi, que si cela pouvait se transmettre je n’aurais plus rien à désirer.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16333, f. 9-10
Transcription de Nathalie Gibert-Joly assistée de Gérard Pouchain
[Guimbaud]
a) « attends ».