9 juillet [1843], dimanche matin, 9 h. ½
Je t’avais presque vu partir avec plaisir, mon cher adoré, pensant que ton absence était le signal d’un bonheur attendu et désiré depuis bientôt trois ans. Mais à peine avais-tu tourné le coin de ma rue que mon courage s’était changé en tristesse. Depuis ce moment-là, je compte les minutes et les heures avec une douloureuse impatience. Hâte-toi de revenir, mon bien-aimé, car rien ne vaut un regard de toi, un mot de toi, un baiser de ta belle bouche. Tes lettres sont adorables mais tu vaux encore mieux qu’elles parce que tu es le bonheur en personne. Cependant, tout à l’heure, quand j’ai reçu ta petite lettre [1], si tu avais pu me voir dans ma chambre rouge au milieu de tous mes oiseaux brodés et nature, baisant chacun des mots et dansant de joie, tu aurais pu croire que j’étais la plus heureuse des femmes. Hélas ! Dieu sait qu’après ce premier moment d’admiration et de ravissement passé, je suis retombée dans mon impatience et dans ma tristesse. Ce que je veux, c’est toi ! Ce que je désire, c’est toi ! Ce que j’aime et que j’adore, c’est toi, toujours toi, en pensée, en paroles, en actions, toi, toi et encore toi !
J’ai pris un bain hier avant le dîner. J’ai éteint ma bougie à 11 h. ½. Je me suis éveillée plus de vingt fois dans la nuit. Même une fois, j’ai cru entendre du bruit et je me suis jetée au bas de mon lit en poussant le fameux cri d’interrogation : qui est là ? Je me suis recouchée l’oreille basse. Dieu veuille que cette nuit soit moins solitaire que l’autre car je ne sais pas comment je ferais pour la passer tranquillement. Je baise tes pieds, je pense à toi, je t’attends, je te désire, je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16352, f. 105-106
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette