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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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29 décembre [1839], dimanche après-midi, 3 h. ¼

Tu as bien fait, mon adoré, de venir cette nuit car j’avais mon pauvre cœur bien gros et bien triste et tu l’as dilaté et consolé par un baiser. Ne me rudoie jamais, mon adoré, et surtout ne fais jamais le semblant de douter de mon amour car tout le petit martyre que je m’impose dans ma vie intérieure n’est que pour te prouver que je t’aime au-dessus et au-delà de toutes les choses de ce monde. Aussi, mon adoré, ne joue jamais avec mon amour car c’est un jeu à me faire perdre la tête. La mort de cette pauvre femme me laisse un noir dans l’âme que je ne peux pas chasser en un jour [1]. Je te prierai de ne pas le trouver mauvais ; du reste, je sens dans ma raison que dans l’état où elle était depuis si longtemps c’est presque de la cruauté que de regretter sa délivrance. Mais on n’est pas maître de ça ? Je crois que tu as raison de vouloir laisser passer [le  ?] jour de l’an à Claire sans lui dire cette mort. La pauvre enfant n’a pas assez d’occasion de joie et de bonheur pour lui empoisonner encore celui-là. Il faudra que j’écrive à Mr de Barthès. Je ne sais pas si je dois en prévenir M. Pradier, tu me le diras car toi seul est mon conseil, ma conscience, mon cœur, mon soufflea et mon âme. Jour Toto, papa est bien i et bien aimé. Il fait bien beau aujourd’hui, c’est dommage que ce ne soit pas pour mon fichu nez. Cependant si le temps continuaitb comme cela, demain je te tourmenterais pour me faire prendre l’air car j’en ai le plus grand besoin. Aime-moi, mon Toto, aimons-nous, j’ai le pressentiment que l’année qui va commencer sera ma dernière. Pourquoi ? Je n’en sais rien sinonc que je souffre dans le cœur et que j’ai des étouffements et des oppressions qui ne sont pas naturelles avec l’apparence de santé que j’ai. Enfin il en sera ce qu’il plaira à Dieu mais je veux employer ce qui me reste à vivre à t’adorer de toutes mes forces et de toute mon âme. C’est très bien vu, n’est-ce pas mon amour ? J’attends la mère Pierceau, j’espère qu’elle viendra à moins que son fils ou elle n’aitd un pet de travers, ce qui n’est pas du tout impossible. Dans ce cas-là, je te prierais de me faire marcher un peu ce soir. En attendant, je vais me coiffer, m’habiller, penser à vous et vous désirer. Faites-en autant de votre côté, c’est-à-dire pensez à moi, aimez-moi et désirez-moi. Je vous dispense de vous rebichonner, vous l’êtes bien assez comme cela. Mon Dieu, je n’en demande pas plus, au contraire.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 213-214
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « soufle ».
b) « continuais ».
c) « si non ».
d) « n’est ».

Notes

[1Cécile Watteville avait élevé Claire Pradier qui avait été placée chez elle.

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