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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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2 novembre [1839], samedi matin, 10 h. ¾

Bonjour, mon cher petit bien-aimé. Bonjour, mon bon petit homme chéri. Comment vas-tu, mon Toto ? Comment vont tes yeux, comment va toute ta chère petite santé ? Je vais prendre un bain ; depuis deux mois, c’est bien le moins. Au reste, je l’avais commandé hier dans la journée et maintenant je crains qu’il ne me fasse mal. J’ai la fièvre et surtout un mal de tête horrible. Cependant puisque l’eau est tirée, il faut l’utiliser. Le chagrin d’être revenue et l’émotion de la reprise de Marion [1] m’a donné une espèce de petite fièvre qui se donne les allures d’une indisposition. J’espère que cela n’aura pas de suite. J’enverrai la bonne tantôt chez Carcel et chez Mme Pierceau voir si ces MM. ont apporté nos divers butins. C’est aujourd’hui l’anniversaire de notre retour il y a huit jours. Mon adoré, jour triste s’il en fut et très bien représenté par la fête des morts [2]. J’ai le deuil dans le cœur, je voudrais être morte ou ne pas te quitter jamais. Ce n’est pas une exagération, mon adoré, c’est l’expression bien sincère de ce qui se passe en moi dès que tu n’es plus auprès de moi. Baise-moi, mon Toto adoré, baise-moi, mon chéri. Aime-moi et ne regardec que moi qui t’adore de toute mon âme. Je voudrais bien qu’on apportât tes petites [bauttes  ?] aujourd’hui. Je ne vis pas de la pensée que tes pauvres petits pieds BOIVENT TOUT L’EAU des rues pour un rien. J’écriraib ou j’enverraic chez M. Dabat. Pauvre bien-aimé, c’est bien le moins qu’en travaillant jour et nuit comme tu le fais, tu aies ta chère santé abritée contre la pluie et la boue. Si je pouvais, je te ferais des semelles de mon [cœur  ?] et un paletot de mon âme et je te réponds qu’il [n’est] rien de malfaisant pour ta petite carcasse [qui] ne passerait à travers, malheureusement une femme ce n’est bon à rien qu’à aimer et je m’en acquitte de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 5-6
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « regardes ».
b) « j’écrirais ».
c) « j’enverrais ».


2 novembre [1839], samedi soir, 4 h. ½

J’ai pris mon bain, cher adoré, et j’en ai fait prendre un en même temps à Claire, c’est-à-dire le même pour nous deux, ce qui est plus clair que ma phrase et que l’eau qui nous a servia. Je vais envoyer chez Carcel et chez la mère Pierceau, en même temps Suzanne rapportera ce qui sera venu chez elle pour nous, s’il est venu quelque chose. Je t’aime, toi. Je t’aime, qu’on vous dit, et je nous suis fidèle comme vous le désirez et au-delà. Je ne trouve pas de terme qui exprime ce que je suis, mais je sais que je t’adore et qu’il n’y a rien dans ma conduite et dans ma pensée que tu ne puissesb voir au grand jour. Baise-moi. À propos, Résisieux a été malade toute la nuit. Il paraît que l’orgie de cette nuit ne lui a pas réussic. Quant à Claire, c’est différent : tout lui va, rien ne l’ébouriffe ni ne l’étouffe, elle mange à touted heure du jour et de la nuit et elle avale Desmousseauxe sans sourciller. Moi, ce n’est pas tout à fait la même chose, il y a bien des choses qui m’étranglentf au passage, témoin le margouillis d’hier. Quel massacre ! Malheureusement on ne peut pas dire avec la pauvre MARION : « C’EST PASSE. IL VIVRA. » [3] Je voudrais qu’il crevâtg et qu’ilh ne joue plus jamais ce rôle, l’affreux bonhomme. Baisez-moi pour me consoler. Aime-moi et viens tout de suite me voir, j’ai bien faim et bien soif de toi. J’ai une lettre que je crois de Mlle Watteville. Du reste, je n’ai vu personne. Mais je t’aime et je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16340, f. 7-8
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « servies ».
b) « puisse ».
c) « réussie ».
d) « tout ».
e) « Démousseaux ».
f) « m’étrangle ».
g) « crevâ ».
h) « qui ».

Notes

[1Marion Delorme est reprise à la Comédie-Française.

[2Au retour du voyage de l’année précédente, Juliette avait appris qu’elle ne jouerait pas la rôle de la reine dans Ruy Blas.

[3« Je ris, je suis contente, il vivra ! C’est passé », Marion Delorme, I, 6.

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