Guernesey, 11 mai [18]70, mercredi matin, 6 h. ½
Bonjour, mon pauvre grand bien-aimé, bonjour comment ta nuit ? J’ai bien peur que tu n’aies pas bien dormi à cause de toutes les tuiles [1] qui ont TOMBÉ sur toi hier. Je serais bien contente si mes craintes ne sont pas fondées. Tout vient à point à qui sait attendre, dit le proverbe, à preuve c’est que te voilà, au bout de dix-huit ans d’exil, décoré par le Bonaparte de la vraie décoration, d’honneur cette fois. Il faut dire que tu ne l’as pas volé, au contraire, et je trouve même qu’il te l’a fait un peu attendre cette décoration glorieuse ! Espérons que ce bon empereur rattrapera le temps perdu en te comblant de faveurs du même genre. En attendant, te voilà débarrassé de cette hideuse Marie ! Plus j’y pense, plus je trouve la chose heureuse à tous les points de vue, aussi bien pour toi que pour tes enfants, et pour tout ton entourage qui souffrait de la grossièreté, de la saleté, de l’incurie et de la méchanceté de cette créature. Je t’assure qu’il faut nous réjouir de cette solution nécessaire et désirée de tout le monde. Ne t’inquiète pas des petits embarras de charrette du moment, nous saurons à l’aide de Mariette et de Suzanne nous en tirer avec honneur jusqu’à ce qu’on ait trouvé une servante honnête et possible. Reprendre cette fille serait recommencer à nouveau tes ennuis domestiques et décourager la pauvre Mariette qui souffre vraiment des vices de cette odieuse Marie. Je t’aime et je suis ta servante dévouée.
BnF, Mss, NAF 16391, f. 130
Transcription de Jean-Christophe Héricher assisté de Florence Naugrette