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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 31 mars [18]70, jeudi matin, 7 h.

Je t’envoie mon bonjour toutes voiles dehors, mon cher adoré, corps, cœur et âme, petit foc et grand foc, soleil et amour, et je salue ton pavillon... absent par une salve de tendresse et de baisers à faire crouler ton lucoot. Comment as-tu passé la nuit ? « THAT IS THE QUESTION  » comme disent les ENGLISHS. En attendant ta réponse, je trouve un peu raide que ce bon AurignOIS Leber se soit permis de tronquer ton adorable lettre sur la mort de ces deux héros de l’amour conjugal [1]. Cette susceptibilité bigote pour Montalembert et cette outrecuidance inepte envers toi dépassent de beaucoup la BÊTISE native des naturels DE CES ÎLES ENTOURÉES D’EAU ET DE WESTLEYANISME [2]. La seule excuse à son impertinence crétine, c’est qu’il ne s’en doute pas du tout. Sa seule préoccupation étant de suivre ARMAGUEDDON au premier coup de sifflet du départ des soixante milles imbéciles dont il est digne d’être comme saint et comme stupide. Moi je t’adore et je ne connais que ça.

BnF, Mss, NAF 16391, f. 91
Transcription de Jean-Christophe Héricher assisté de Florence Naugrette

Notes

[1Leber, directeur de la Gazette de Guernesey, a tronqué le début de l’extrait de la lettre de Hugo à Meurice datée du 22 mars reproduit par Le Rappel  le 26 mars : « On m’écrit pour me demander quelle impression a produite sur moi la mort de Montalembert. Je réponds : Aucune ; indifférence absolue. – Mais voici qui m’a navré. / Dans le steamer Normandy, sombré en pleine mer il y a quatre jours, il y avait un pauvre charpentier avec sa femme ; des gens d’ici, de la paroisse Saint-Sauveur. Ils revenaient de Londres, où le mari était allé pour une tumeur qu’il avait au bras. Tout à coup dans la nuit noire, le bateau, coupé en deux, s’enfonce. / Il ne restait plus qu’un canot déjà plein de gens qui allaient casser l’amarre et se sauver. Le mari crie : “Attendez-nous, nous allons descendre.” On lui répond du canot : “Il n’y a plus de place que pour une femme. Que votre femme descende.” / “Va, ma femme”, dit le mari. / Et la femme répond : “Nenni. Je n’irai pas. Il n’y a pas de place pour toi. Je mourrons ensemble.” Ce nenni est adorable. Cet héroïsme qui parle patois serre le cœur. Un doux nenni avec un doux sourire devant le tombeau.

[2Doctrine méthodiste fondée par Westley.

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