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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 mars 1870

Guernesey, 17 mars [18]70, jeudi matin, 7 h. ½

Cher bien-aimé, je suis en fond d’une bonne nuit que je t’offre, rubis sur l’oreiller, en échange de la tienne que j’espère meilleure encore et sur laquelle mon cœur compte faire un fort bénéfice. À ce propos je te prie de m’apporter BEAUCOUP D’ARGENT, d’ici à deux jours, à moins que tu ne veuilles user des nombreux capitaux de Suzanne. Je lui ai conseillé de les placer à la banque dans l’intérêt de ses INTÉRÊTS, je pense qu’elle le fera ce qui me dispenserait d’avoir recours à sa caisse le cas échéant. « C’est bête comme tout ce que je te dis là.  [1] ». Mais le moyen d’avoir de l’argent et de l’esprit tous les jours et à toute heure n’est pas donné à tout le monde, je ne le sais que trop, hélas ! Et puis il fait un temps à couper au couteau qui ne m’inspire pas le plus petit mot pour rire, à moins que ce ne soit pour porter Bonaparte en terre. Mais, mon Dieu, quand donc finira cet éternel hiver ? Quand pourrons-nous prendre la clef des bois, la clef des champs, la clef des amourettes [2] ? Mon cœur a la démangeaison de toutes ces douces choses pour les partager avec toi d’âme à âme.

BnF, Mss, NAF 16391, f. 77
Transcription de Jean-Christophe Héricher assisté de Florence Naugrette

Notes

[1Citation de Ruy Blas, IV, 3 v. 1704, réplique de don César au laquais.

[2Citation de la fin de la section XIX de L’Archipel de la Manche, qui n’est pas encore publié, mais déjà écrit : « [L]e Français sentait poindre en lui cet épaississement du deuil intérieur qui commence la nostalgie ; il regardait, il écoutait ; pas un rayon ; des cormorans en chasse, des nuages en fuite ; partout sur l’horizon une pesanteur de plomb ; un vaste rideau livide tombant du zénith ; le spectre du spleen dans le linceul des tempêtes ; rien nulle part qui ressemblât à l’espérance, et rien qui ressemblât à la patrie ; le Français songeait, de plus en plus assombri ; tout à coup il releva la tête ; une voix sortait d’une des chaumières entr’ouvertes, une voix claire, fraîche, délicate, une voix d’enfant, et cette voix chantait : « La clef des champs, la clef des bois, / La clef des amourettes ! »

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