Guernesey, 2 octobre 1860,mardi, 4 h. après-midi
L’installation de Marie Turpin et de son ouvrage ce matin ne m’a pas permis de te donner ma restitus à l’heure habituelle. Le reste de la journée a été consacré à me tenir prête au cas où messieurs les photographes auraient pu essayer de me portraire mais le bon Dieu semble d’accord avec toi et avec eux pour les empêcher de se risquer dans cette maussade et difficile besogne [1]. Tout cela, mon cher petit homme, y compris une tentative de visite à Mme Patourel, laquelle n’était pas chez elle, tout cela, dis-je, m’a mené jusqu’à cette heure sans avoir pu te rien gribouiller de mon cœur. Il est vrai que je prends ma revanche maintenant et que je [PAFARDE ?] pour le matin, le soir, la veille et le lendemain. Je ne demanderais même pas mieux d’être très GEAIE si je ne te trouvais pas un petit air froid, contraint et mécontent qui ne t’est pas habituel. Si j’y suis pour quelque chose involontairement et à mon insu je t’en demande pardon avec autant de regret que si c’était sciemment et avec reconnaissance de cause. Si ce sont des ennuis du dehors et qu’il ne te plaise pas de me les dire, je respecte ton secret tout en m’associant par le cœur à tes contrariétés quelles qu’elles soient. De toutes façons, mon cher bien-aimé, je m’identifie tellement avec toi que je ne peux pas être gaie quand tu ne l’es pas, ni heureuse dès que je te supporte fâché contre moi, fût-ce à tort et injustement. Mais RIEN ne m’empêche de t’aimer toujours de toute mon âme.
BnF, Mss, NAF 16381, f. 258
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette