Guernesey, 16 déc[embre] [18]72, lundi matin, [6 ?] h. 25 m.
Bonjour, mon cher bien-aimé, Bonjour et merci. Je t’ai vu, je suis heureuse et j’ai le soleil dans le cœur. Sois béni. J’espère que tu as passé une bonne nuit et que tu te portes bien de la tête aux pieds. Je voudrais déjà pour toi que ton petit hourvaria [1] de fête [2] soit passé parce que je sais combien cela te dérange de tes habitudes. Quant à moi, je persiste à croire que je ferais mieux de m’abstenir d’y assister du moment que nous ne sommes plus tout à fait entre nous. Cependant, si ce n’est pas ton avis, je suis toute prête à faire ce que tu voudras, trop heureuse de te sacrifier ma vieille ourserie contre l’honneur et le bonheur de te voir officier au milieu de tes petits pauvres. Quel dommage que tu n’aies pas auprès de toi ce jour-là tes deux petits aides naturels Georges et Jeanne. Comme ils seraient joyeux et comme tu serais heureux ! Il serait juste que le bon Dieu, en échange de ton dévouement à toutes les douleurs et à toutes les misères, t’en récompensât par le bonheur auguste et sacré d’avoir tes petits-enfants avec toi. Il faut que cette sévérité de ta destinée ait sa raison d’être, car autrement ce serait à douter de sa justice, ce qui n’est pas possible. J’aime mieux croire qu’il te réserve ailleurs des félicités suprêmes, mesurées à la grandeur de ton âme et à celle de ton génie et qu’il m’accordera la grâce de t’aimer et de te bénir dans le ciel pendant toute l’éternité comme je le fais sur la Terre. Jusque-là, j’espère, je prie et j’attends. Aussi, mon cher adoré, je ferai ce qu’il te plaira pour la fête de tes petits enfants. J’irai ou je resterai à ton choix, ma joie et mon bonheur étant de te complaire en tout. Nous attendons avec impatience de quoi habiller la grande poupée d’honneur [3] !!! Le temps presse ! La grande poupée ! La grande poupée ! La grande poupée !
BnF, Mss, NAF 16393, f. 346
Transcription de Bulle Prévost assistée de Florence Naugrette
a) « ourvari ».