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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 29 nov[embre] [18]72, vendredi matin, 8 h. ¾

Je me serais bien passée de gagner dix-huit sous hier soir pour les reperdre au centuple ce matin au jeu de la serviette [1]. Gain pour gain, j’aime mieux deux sous de bonheur que 72 liards de Nain Jaune [2]. Même gagnés au bonhomme Marquand si peu prodigue de son or. Une autre fois je tâcherai de garder ma chance pour quelque chose qui me tient plus à cœur. En attendant, je bisque et je rage tout mon saoul. À quelle heure t’es-tu levé aujourd’hui, mon cher bien-aimé, et comment a été ta nuit ? Tu me le diras tantôt mais d’ici là je veux croire que tout est pour toi aussi bien que je le désirea. Tout à l’heure je vais me régaler de l’article [3] de ton petit Victor avec d’autant plus de plaisir que cela prouve que sa santé se raffermit [4]. Ta bonne lettre va l’en récompenser tout de suite et achever sa guérison.
Je viens de compter avec Ambroisine et je lui ai fait donner 100 F. par Suzanne car la pauvre femme n’avait plus le sou. Même les cent francs d’aujourd’hui sont dépensés d’avance, plus trois sous je viens de le vérifier sur son livre. Moi-même je suis en compte avec Suzanne, la grande capitaliste de la situation. Maintenant te voilà prévenu, je ne te dis que ça. Entre temps, savez-vous, je lui ai fait compliment du soin qu’elle mettait à faire le dîner de tes petits pauvres [5] aussi excellent qu’il est possible et j’ai étendu mon approbation sur l’ordre parfait qui règne dans ta maison maintenant. Ce satisfecit, bien que donné par quelqu’un que cela ne regarde pas, a paru lui faire grand plaisir tant la louange est chose agréable de quelque part qu’elle vienne. Quant à l’amour, c’est autre chose, il ne se soucie que de plaire à un seul cœur, tout le reste lui est égal. Je le sais bien moi qui t’adore.

BnF, Mss, NAF 16393, f. 329
Transcription de Bulle Prévost assistée de Florence Naugrette

a) « désires ».

Notes

[1Voir Torchon radieux.

[2Jeu de carte et de plateau populaire au XIXe siècle.

[3Article publié dans le numéro du 27 novembre 1872 du Rappel intitulé « La Rupture ». François-Victor Hugo s’intéresse à la personne de Thiers, jusqu’alors très conservateur mais qui s’est finalement déclaré en faveur de la République le 13 novembre 1872 « Hors de la République, point de salut ! » cite François-Victor Hugo. Il y fait ensuite état des tentatives de la droite conservatrice ainsi que des monarchistes de déstabiliser Thiers pour l’empêcher de mener son projet démocratique. Il conclura par ces mots : « Que maintenant M. Thiers vienne à nous. La démocratie lui offre le plus beau des rôles, - celui de Washington. »

[4François-Victor Hugo est malade depuis quelques temps. Il mourra finalement de la tuberculose l’année suivante, le 26 décembre 1873.

[5Depuis 1862, Victor Hugo organise de manière hebdomadaire un dîner pour les enfants pauvres de l’île de Guernesey dans sa maison de Hauteville-House.

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