Guernesey, 13 novembre, [18]65, lundi matin, 8 h. ¼
Bonjour, mon adoré bien-aimé, bonjour. Je te l’aurais dit depuis déjà longtemps, ce cher bonjour de mon cœur, si je n’avais pas craint d’entraver le mieux sensible que la position horizontale fait à mon stupide bobo [1]. Position que je conserverai le plus que je pourrai pour hâter la disparition de cette déplaisante et incommode indisposition. J’ignore à quelle heure tu t’es levé et si tu as bien dormi, mon doux adoré, mais j’espère que tu as passé une longue et bonne nuit pareille à la mienne, pour le sommeil s’entend. Tu as vu avec quel empressement le rancuneux M. [2] et le susceptible K. [3] avaient accepté ton invitation [4]. C’est qu’il est pour ton hospitalité glorieuse des accommodements comme pour le ciel. Quanda il ne s’agit que de moi, on retrouve tout l’assortiment de la FAROUCHE DIGNITÉ pour ne pas se rencontrer pif à pifb. Ce qui, révérence gardée, me fait rire dans mon coin.
Je regrette bien de ne pouvoir pas écrire un mot aux bons Berru, Cabochard compris, car je sais combien ils sont sensibles aux bons procédés qui viennent de ton côté, directement ou indirectement. Sans compter que j’aurais pu au besoin leur demander plus d’un petit service, entre autresc, le partage de leur abonnement au journal L’Indépendance Belge [5]. Faute d’un clou, Martin perdit son âne, dit le proverbe. Faute d’un mot, nous perdons peut-être le dévouement tendre et actif de braves gens qui ne demandent qu’à nous aimer et à nous servir. Quand je dis NOUS, c’est TOI seul que je veux dire et c’est pour cela que je t’en fais l’observation avec toute la sollicitude de mon amour.
BnF, Mss, NAF 16386, f. 174
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « Quant ».
b) « piffe à piffe ».
c) « entr’autre ».