31 octobre [1835], samedi, 7 h. ¼ du matin
Bonjour, mon cher petit bien-aimé. Comme tu vois, je suis levée de bonne heure mais j’ai si grande hâte de me débarrassera de cette créature, et pensant que l’heure à laquelle tu as l’habitude de venir le matin étant déjà passée et que par conséquent je n’auraib pas le bonheur de te voir, mon cher petit homme chéri, je me suis donc jetéec hors du lit pour surveiller et presser les préparatifs du départ de Mlle Grisi [1].
Rien ne peut m’ôter de l’idée que tu étais triste hier ou fatigué, ce qui serait aussi pire. Cela m’a inquiétéed une partie de la nuit, et ce matin mon inquiétude n’a pas diminuée. Car si tu étais triste, tu n’as pas eu la confiance de me l’avouer ou si tu étais fatigué, la nuit qui vient de se passer n’aura fait qu’ajouter encore à ta fatigue. Ainsi, de quelque côté que je retourne l’air accablé et préoccupé que tu avais hier au soir, je ne trouve qu’un sujet pénible et inquiétant pour mon amour. Car mon bon petit bien-aimé, tu ne sais pas à quel point je t’aime. Je t’aime de toute mon âme et comme on doit t’aimer. Je t’aime jusqu’à être jalouse d’une peine que tu me cacherais. Je regarderais ta discrétion dans ce cas-là comme un vol que tu ferais à mon amour. Je t’aime comme jamais homme n’a été aimé. Je t’aime plus.
J.
BnF, Mss, NAF 16325, f. 68-69
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « débarasser ».
b) « je n’aurais ».
c) « jettée ».
d) « m’a inquiété ».
e) « n’a pas diminuée ».
31 octobre [1835], samedi soir
Vous devenez de jour en jour plus invisible, mon cher petit homme, et bientôt il me faudra une lunette astronomique pour apercevoir dans l’espace le moment imperceptible que vous donnez à notre amour. Au reste, vous n’êtes qu’un vil plagiaire de la comète de 1835 [2], laquelle cache sa queue aussi bien que vous, ce qui ne l’empêche pas d’être une comète et vous d’être l’homme le plus aimé qu’il y ait sous le ciel et dans le ciel.
Je continue d’avoir mal à la tête, c’est fort amusant. Et puis j’ai une bonne qui pleure à torrents, ce qui ne contribue pas moins à rendre mon intérieur très bruyant et très gaia [3]. Enfin c’est égal. J’ai pour me consoler et me faire prendre courage l’espoir que je te verrai au moins un quart d’heure ce soir, de minuit moins 5 m. à minuit un quart. Ainsi je n’ai pas de quoi m’affliger ni m’attrister. Il est tout simple que, puisque je t’aime de toute mon âme, je souffre de toutes mes forces. Bois scié au poidsb et à couvert [4]. Va donc pour le sciage puisque sciage il y a et que tu es à couvert.
Mais je t’aime et je rage de te voir si peu.
BnF, Mss, NAF 16325, f. 70-71
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « gaie ».
b) « poid ».