31 décembre [1840], jeudi matin, 9 h. ¾
Bonjour, mon petit Toto bien-aimé, bonjour mon cher petit homme, je vous baise à l’envers et à l’endroit, partout où vous avez froid et chaud. J’espère que vous dormez encore, mon pauvre piocheur adoré. Je te remercie d’être revenu cette nuit par l’affreux temps qu’il faisait. Il n’y a que toi pour avoir cette courageuse tendresse, aussi je t’en remercie en t’aimant de toute mon âme. Pendant que tu dînais en ville moi j’ai raccommodéa mon unique robe. Je vous recommande ce mot : unique. Je ne veux pas perdre mes mots à effet comme MADAME MAGLOIRE [1]. J’ai travaillé jusqu’à onze heures et puis je me suis couchée, c’est ce qui fait que tu m’as trouvéeb endormie quand tu es arrivé cette nuit. Un peu de fatigue, la chaleur du lit, la position horizontale, tout cela sont autant de sollicitations à dormir auxquellesc je ne résiste pas toujours à ma grande fureur. Aujourd’hui je me battrais si je pouvais pour m’apprendre à n’être pas une vieille Juju somnolente et blaireuse comme Mme Guérard. Je dois cependant me rendre cette justice que je ne cède au sommeil qu’après minuit, mais c’est encore trop tôt puisque tu n’es pas venu et que cela me prive du bonheur de t’avoir un peu plus longtemps. Décidément je suis une vieille marmotte. À propos je vais bien, nous verrons ce que cela deviendra mais j’aurais bien désiré finir et recommencer l’année sur une BELLE ACTION. Malheureusement j’ai besoin de votre COLLABORATION pour cela et cela ne me paraît pas possible d’après ce que vous m’en avez dit hier. Je m’y conformerai tant bien que mal. Ce ne sera pas la première fois que cela me sera arrivé de gré ou de force.
Jour Toto, jour mon cher petit o. Je vous aime malgré mes allusions venimeuses. Je vous adore en dépit de mes grosses injures. Je suis trop heureuse que vous me laissiez vous aimer même pour RIEN. Baisez-moi et riez tout de suite si vous m’aimez.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16343, f. 291-292
Transcription de Chantal Brière
[Blewer]
a) « racommodé ».
b) « trouvé ».
c) « auquelles ».
31 décembre [1840], jeudi soir, 3 h. ¾
Que le diable vous emporte et vous rapatafiole, petit cochon qui avez mis ma brosse à dent dans votre cuvette avec toutes vos ordures si bien qu’en jetant l’eau dans le seaua au pisso on l’y a jetée et de là au ruisseau d’où on me l’a rapportée dans un bel état. Je ne connais pas de cochon plus cochon que vous. Vraiment vous finissez l’année comme vous la commencerez, par une cochonnerie qui n’a pas de nom. Sans parler du toupinage que vous avez le front de projeterb sur votre affreux paletot qui a l’air d’un vieux chien crevé. Si vous croyez cela drôle vous vous trompez du tout au tout. Voime, voime, vous êtes bien gentil et je conseille à la mère Richi de vous en faire compliment. Je commence à croire que vous serez nommé prochainement à la Cacadémie [2], vous avez toutes les qualités REQUISESc pour ça, il est impossible d’avoir l’air plus sale, je veux dire plus académiciend, que vous dans ce moment-ci. Baise-moi vieux cochon de salaude. Baise-moi brigand et tâche de m’aimer un peu sous ta crasse.
Je voudrais être à demain pour avoir ma chère petite lettre d’étrenne à baiser, à admirer et à adorer. D’y penser j’en suis folle d’impatience et de joie. Le temps d’ici là va me paraître éternel. Il n’y a qu’un moyen de m’empêcher de le trouver trop long c’est de venir le passer avec moi. Demain je n’aurai personne que ma fille ce qui ne nous gêne pas. Après-demain j’ai toutes mes péronnelles et mon père [3] et si cela n’empêche pas que tu viennes déjeuner cela nous forcera toujours à nous lever de bonne heure. Je vous aime Toto. Je vous adore mon bon petit homme chéri.
Juliette
BnF, Mss, NAF, 16343, f. 293-294
Transcription de Chantal Brière
[Blewer]
a) « sceau ».
b) « projetter ».
c) « REQUIS ».
d) « accadémicien ».
e) « salot « .