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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 21 juillet 1858, mercredi, 8 h. du matin

C’est encore aujourd’hui ta fête, mon pauvre petit malade, et j’en profite pour t’envoyer un petit bouquet parlant composé de baisers, de caresses et de tendresses beaucoup plus que de fleurs. J’espère qu’on te le remettra à ton réveil ainsi que la douzaine de framboises que je t’ai fait confire depuis hier au soir. Ah ! Voilà Suzanne qui revient de chez toi : tu as passé une très bonne nuit et tu dors encore à ce qu’assure Cœlina car Rosalie n’a pas pu parler à Suzanne. Quel bonheur, mon bien-aimé, que le sommeil te soit enfin revenu ! Encore quelques bons jours et quelques excellentes nuits et il ne restera plus trace de tes atroces souffrances et je pourrai te voir et te manger de baisers. En attendant il faut que je prenne mon courage à cœur et âme et que je me résigne à mon inutile dévouement et à mon oisive activité d’esprit qui s’ingénient et s’agitent pour trouver le moyen de hâter ta guérison et n’aboutissent qu’à t’aimer de pire en pire. Cher adoré je baise ta pauvre petite patte malade et je tiens ton bouillon et ton petit œuf frais à ta disposition. Pense à les envoyer chercher. Je t’aime.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 154
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette


Guernesey, 21 juillet 1858, mercredi, midi ½

C’est bien vrai que tu as passé une bonne, bonne nuit, mon pauvre adoré, le docteur me l’a dit ce matin, ce qui me tranquillise et me satisfait encore plus que les assertions plus ou moins réelles de tes servardes. Encore quelques jours d’impatience et de prudence et de soins et tu seras hors de tout danger et de toute souffrance. Jusque là, il faut que j’aie beaucoup de courage, et j’en aurai, dans l’espoir de hâter ta guérison à force de résignation devant Dieu de qui elle dépend. Soigne-toi, mon cher petit homme, prends garde d’avoir froid aujourd’hui car le vent est bien vif. Tu n’as pas envoyé cherché ni bouillon ni œuf encore mais j’espère que cela ne tardera pas maintenant et que je vais bientôt voir Rosalie. Dès que le docteur te permettra un petit potage. Je veux avoir le bonheur de te le faire moi-même et je te l’enverrai tout bouillant dans une timbalea d’argent fermée destinée de tout temps à cetb usage. Jusque là, je t’aime et je te bénis, mon bien, ma vie, mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16379, f. 155

Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

a) « timballe ».
b) « cette ».


Guernesey, 21 juillet 1858, mercredi, 2 h. après-midi

Je charge le citoyen Quesnard de te porter deux petits œufs tout pleins de tendresses et de baisers qui ne s’éventeront pas en route, car je ne lui ai confié que le contenant. Quant au contenu, tu le trouveras en humant tes bons petits œufs jusqu’au fond de leur coquille. Tout cela est bien amphigourique, mon pauvre bien-aimé, et tu aurais bien de la peine à dégager ce POULET d’amour de ce margouillis [1] de mots et d’encre. Enfin, et pour te traduire à peu près ce que je veux te dire, c’est que je t’aime et que j’essaye de te sourire de loin pour te remercier d’aller de mieux en mieux. Je suis en train de te faire de la charpie. Je t’en enverrai tantôt un bon petit morceau. C’est pour cela que je me dépêche de te barbouiller mes tendresses afin d’aller au plus vite à ma triste et douce besogne. Je t’ai envoyé de la bonne toile hier pour en faire faire, de la charpie, par ton groupe. Je sais que tout le monde veut avoir l’honneur de collaborer à ce travail qui est destiné à hâter ta guérison. Aussi je ne veux pas me laisser devancer dans cette course au clocher de ta santé et de mon bonheur. Je t’adore voilà le fond et le tréfonds de mon cœur et de moi.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 156
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette


Guernesey, 21 juillet 1858, mercredi, 10 h. ½ du soir

Bonsoir, mon cher petit malade, bonsoir mon pauvre petit souffrant adoré, bonsoir de tout mon cœur et de toute mon âme, bonsoir. Ta journée a été bonne aujourd’hui ; j’espère que ta nuit sera meilleure encore. Dans quelques jours tu seras en pleine convalescence et sans rechute possible ; mais, d’ici là, que de tristesse, d’inquiétude et de chagrin pour moi, mon cher bien-aimé. Chaque minute qui s’écoule depuis que je ne te vois plus, pèse une journée en tourment, en douleur et en impatience sur mon cœur. Pourtant je ne dois pas me plaindre puisque tu vas toujours de mieux en mieux et que tous les dangers qui pouvaient surgir pendant cette longue et douloureuse maladie s’éloignent d’heure en heure et que tu seras bientôt hors de leur portée et de leurs menaces. Mais que c’est long, mon Dieu, que c’est long les jours, les heures, les minutes, les secondes qui séparent la maladie de la guérison, encore plus je crois pour ceux qui aiment que pour ceux qui souffrent. Kesler vient de venir chercher de la toile pour de la charpie quoiqu’il soit matériellement impossible qu’on ait usé la grande bande de toile que je t’ai envoyée hier. Je lui en ai redonné en le priant de recommander qu’on ne l’égare pas car la toile de ce grain est très précieuse pour la charpie et il faut la ménager. Tu avais ma charpie d’aujourd’hui, mon cher adoré. Il y en a pour plusieurs pansements mais je t’en enverrai d’autres demain. Je ne [lui ?] laisserai pas [illis.]. Ne t’inquiètes donc pas et dors de toutes tes forces. Je t’aime, je t’adore et je te bénis.

BnF, Mss, NAF 16379, f. 157
Transcription d’Anne-Sophie Lancel assistée de Florence Naugrette

Notes

[1« Mélange informe et répugnant » (Grand dictionnaire universel du XIXe siècle).

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