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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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29 novembre [1840], dimanche soir, 10 h. ½

Je n’ai pas eu le temps de t’écrire tantôt, mon bien-aimé, parce que Mme Pierceau est arrivée comme je finissais d’attacher ma robe. Elle vient de s’en aller à présent et tout de suite je prends la plume pour te gribouiller un peu de ce grand amour que j’ai dans le cœur. J’aurais bien voulu te voir, mon adoré, mais il parait que les goistapioux vous ont absorbé tout entier et qu’il n’en est pas resté pour moi. J’espère qu’ilsa vont bientôt se coucher et que vous allez me revenir. Il y a déjà bien longtemps que je n’ai vu votre charmante petite tête. À propos la mère Pierceau est toutb ébouriffée de ma visite d’hier. Elle n’y comprend rien, dit-elle, et moi je n’y veux rien comprendre ce qui fait que le mystère reste à éclaircir. Toujours est-il que vous avez le droit de faire de moi ce que vous voudrez et que je ne me permettrai jamais d’y trouver à redire. J’espère que voilà de la soumission ou je ne m’y connais pas. Baisez-moi, scélérat, je vous aime. Je n’ai pas eu d’autre visite que celle de Mme Pierceau et de Mme Besancenot qui nous a monté son petit JONAS à voir. Résisieux a passé la soirée avec le petit Pierceau et voilà tout ce qui s’est passé de plus infâme dans ma maison. Sur ce baisez-moi et aimez-moi. Il me semble que la soirée est encore plus longue cette fois-ci que les autres fois. J’ai une impatience et un besoin de vous voir qui ne se peut pas dire. Tâchez, mon amour, de la partager un peu et venez bien vite auprès de votre pauvre ennuyéec Juju. Nous avons ébauché hier, mon Victor, une conversation bien sérieuse et sur laquelle je n’ai pas voulu insister parce que je ne m’en sentais pas le courage. Je venais d’éprouver une secousse assez douloureuse par la démarche de cette horrible usurière [1] de sorte que je voyais avec désespoir l’espèce de conseil que tu me donnais pour l’éducation de ma fille. J’ai là-dessus des idées et des scrupules que tu ne partages pas mais que tu ne peux pas blâmer. Aussi j’ai toute confiance en toi et je suis sûre que tu ne me forceras pas à lutter contre toi lorsqu’il s’agira de ma pauvre fille. Je suis prête d’ailleurs à faire pour elle, pour son avenir les mêmes sacrifices que j’ai faitsd pour notre amour et que je serai toujours prête à faire. Pense que je t’aime mon adoré de toute mon âme et que j’ai toute confiance en toi pour toute chose mais laisse-moi être pour ma fille plutôt trop prodigue de ressources que pas assez car c’est surtout en éducation que ce qui abonde ne vicie pas. Je t’aime.

BnF, Mss, NAF, 16343, f. 191-192
Transcription de Chantal Brière

a) « qu’il ».
b) « toute ».
c) « ennuiée ».
d) « fait ».

Notes

[1La veille, Juliette a reçu une lettre de Mme Ribot.

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