29 novembre [1837], mercredi après-midi, 4 h.
J’ai bien du bobo, moi, et depuis que vous êtes parti je le sens bien davantage. Je voudrais que vous en fussiez bien convaincu pour me soulager un peu plus souvent car vous avez bon cœur après tout. J’ai eu tout à l’heure la visite de Jourdain qui se propose d’aller mardi à la fameuse séance. Il ira avec le [Rouveix [1] ?]. Je voudrais bien y aller aussi, moi, et être homme. Avec quelle joie je me ferais mettre pour six mois en prison et avec quelle satisfaction je leur ferais un [prêt ? / puff ?] de 1000 F. Je leur en dirais pour leur argent. Oh Dieu ! rien que d’y penser j’en ai l’eau à la bouche. Malheureusement ma joie n’est pas de longue durée et j’éprouve la plus grande mortification pour une femme de quelque sexe qu’elle soit à qui on impose le plus respectueux silence. La cause est entendue. M ------ [2].
Ceci est un développement assez court et qui ne peut pas manquer son effet ? Tu peux toujours l’essayer ça se dit tous les jours dans les occasions les plus solennelles. Je ris mais je bisque aussi. Si je t’aimais moins je serais dans une fureur encore plus atroce, c’est-à-dire non, c’est parce que je t’aime que je veux tuer le vieux S [3]. Après tout cela nous rirons comme deux vieux consulsa de la garde royale.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16332, f. 111-112
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein
a) « consulles ».
29 novembre [1837], mercredi soir, 5 h. ¼
Mon cher petit monstre, je vous adore. Il y a longtemps que je vous ai rendu l’hommage que vient de vous rendre le savant Geoffroy Saint-Hilaire [4]. Il n’a donc pas le mérite de la découverte et moi j’ai celui de vous aimer plus qu’aucune femme au monde n’a aimé et n’aimera jamais. À ce titre je mérite d’être classée dans la catégorie des phénomènes uniques qui font l’admiration de l’illustre savant. Mais que je vous aime donc, ce n’est rien de le dire et tous les mots ne servent qu’à obscurcir l’image la plus belle et la plus rayonnante qui ait jamais rempli le cœur d’une femme. Est-ce que j’en serai réduite à rongeotter [5] le petit morceau si sec de bonheur que vous m’avez donné tantôt jusqu’à l’année 1838 ? Ce serait bien peu et j’aurai bien le temps de maigrir avec un pareil régime.
La bonne de Mme Guérard m’a apporté une lettre de sa maîtresse qui me demande une loge pour Saint-Antoine [6] et son volume des Voix intérieures. Je lui ai promis la loge, et puis je lui ai fait une grosse scène de la cochonnerie qu’elle m’a faite pour mon bonnet. C’est toujours autant de fait et maintenant elle ne m’empruntera plus rien. J’en suis bien aise. Soir mon petit pa. Tu viendras n’est-ce pas ? Ce serait trop triste de passer toute ma soirée seule. Oh ! tu viendras. Je t’aime tant.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16332, f. 113-114
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein