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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 juillet 1851, dimanche matin, 8 h.

Bonjour mon grand Victor, bonjour avec tout ce que j’ai de plus doux et de plus tendre, bonjour. C’est aujourd’hui ta fête, ou plutôt le jour traditionnel où on la souhaite. Déjà ce matin j’avais un gros bouquet qui t’est destiné envoyé par Mme Castanet et par Auguste [1]. Je ne me fais aucun scrupule de le prendre au passage car dans le nombre cela ne peut pas paraître et encore moins te priver. D’ailleurs, mon bien-aimé, je le remplacerai par les fleurs de ma rhétorique. Qu’est ce que vous avez à répondre ? Il me semble que c’est gentil et pas mal généreux comme cela ?
Mais je ne veux pas que tu me croiesa attristée par les infamies trop prévues dont tu es l’objet. J’en serais indignée dans le moment parce que le cœur et l’âme ont du dégoût pour de certaines turpitudes comme l’odorat et l’estomac ont leur susceptibilité devant certaines horreurs nauséabondes. Mais du reste je ne m’inquiète pas sur le résultat de ton discours pour tout ce qui a une pensée saine dans la tête et un sentiment généreux dans le cœur. Ma seule crainte, et celle-là suffit du reste pour m’attrister dans l’âme, c’est ta santé. Si j’étais sûre que malgré toutes les mauvaises conditions physiques et météorologiques où tu te trouves tu guérissesb avant l’hiver je crois que je ne sentirais plus mes autres chagrins. Oh ! mon Dieu quel bête d’aveu je te fais là. Eh ! bien oui j’ai du chagrin mais tu n’y peux rien. C’est-à-dire que tu y peux tout si tu m’aimes. Si tu m’aimes comme autrefois il y a bien longtemps. Sinon j’aime mieux mourir et j’espère y parvenir bientôt avec l’aide de Dieu. Mais si tu m’aimes je veux vivre encore.

Juliette

BnF, Mss NAF 16369, f. 129-130
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « tu me croyes ».
b) « tu guérisse ».


20 juillet 1851, dimanche après midi, 3 h.

Si je pouvais remplacer le bonheur de te voir en pensant à toi, mon cher bien-aimé, je n’aurais rien à regretter et rien à désirer car ma pensée ne te quitte pas d’une seconde. Mais c’est une viande creuse que mon cœur ne goûte pas et il aimerait mieux un bon baiser de ta belle bouche que toutes mes pensées et toutes mes aspirations vers toi.

10 h. ½ du soir

À ce moment-là même de mon gribouillis j’ai eu une fausse joie car j’ai cru que c’était toi et ce n’était que Mme Triger, hélas ! Puis Mlle Féau, trois fois hélas ! hélas ! hélas ! Cependant je n’ai pas le droit de me plaindre puisque je t’ai vu cinq minutes un jour où tu as tant à faire. Je te remercie, mon pauvre bien-aimé, de cette marque de bonté. Je devrais m’en contenter et pourtant mon pauvre cœur est malheureux. J’attendais avec une impatience que ces braves Pierceau fussent partis pour être seule et triste sans contrainte. Je sais qu’à neuf heures il n’y avait aucune lumière chez toi. Probablement tu as dîné en ville avec ta famille ou peut-être encore n’avait-on pas fait allumer. J’ai toute confiance en toi, mon bien-aimé, je suis sûre que tu ne voudrais plus me tromper maintenant car ce qui était un acte de bonté et de générosité de ta part il y a trois semaines serait une lâcheté et une cruauté sans excuse maintenant et je sens que tu en es incapable. Je souffre de ne pas te voir mais je ne t’accuse ni ne te soupçonne. Je suis triste mais je ne suis pas amère. Je t’aime, je te supplie de ne pas ajouter à la fatigue surhumaine que tu viens d’avoir, et puis je te vénère, et puis je t’admire et puis te bénis et puis encore et toujours je t’aime.

Juliette

BnF, Mss NAF 16369, f. 131-132
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Il s’agit probablement du jeune Auguste Pierceau, fils de la couturière et amie de Juliette Drouet.

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