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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 28 septembre 1852, mardi matin, 8 h.

Bonjour, mon cher petit bien-aimé, bonjour, je vous aime et vous ? Je ne vous demande pas ce que vous ferez aujourd’hui parce [que] vous n’êtes pas le seul grand maître des cérémonies mais je voudrais bien savoir quand je vous verrai et combien de temps vous pourrez me donner. C’est une curiosité qu’il m’est impossible de ne pas avoir. Aussi je ne m’en cache pas. Pour te donner plus de latitude, mon cher petit homme, tu serais bien aimable de venir faire ton courrier chez moi tantôt. J’aurai la joie de te voir et tu n’auras pas le regret de négliger tes affaires pour moi. Je suis encore toute tremblante de ma lutte avec une araignéea monstrueuse, la plus grosse que j’ai jamais vue. Dieu merci, j’en suis venue à bout mais ce n’est pas sans peine et sans horreur.
De son côté Foyou monte la garde dans le bas de mon armoire infestée de souris qui m’ont empêchée de dormir toute la nuit. Tu vois que mon logis ne manque de rien de ce qui peut le rendre agréable. J’oubliais les crapauds mais j’espère qu’il y en a dans le jardin. Il n’y a donc qu’à se baisser et en prendre. Peine que tu prendras volontiers pour moi. Voime, voime, affreux monstre Q, U, E, QUE, CHE O, N, CHON, COCHON. Viens- y et puis tu verras ce que je te ferai, vilain sale. En attendant regarde se baigner à cru toutes les jersiaises et toutes les anglaises de cette île trop peu sauvage [1]. Mais méfie-toi du phoque jugé le plus grand des animaux vivants au bord de la mer. Sur ce, mon petit homme, je vous prie de venir le plus tôt que vous pourrez et de renoncer pour aujourd’hui à la recherche de votre encrier. Soyez sûr que s’il y en a un, c’est à moi que sera dévolu l’honneur de la découverte et le bonheur de vous l’offrir. Toutes les mines féminines de l’endroit ne sauraient vous en fournir un digne de votre auguste plume.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 377-378
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « arraignée ».


Jersey, 28 septembre 1852, mardi, midi ¾

Il faut convenir, mon cher petit homme, que je suis une bien grande maladroite de ne t’avoir pas donné ton parapluie, puisque je ne comptais que sur la chance du mauvais temps pour te revoir. Maintenant, Dieu sait quand je te verrai, car le ciel est noir comme un four et tu n’as pas le moindre caoutchouc pour te garantir. Ceci ne me fait pas rire, tant s’en faut, et je m’en veux de mon étourderie plus que je ne saurais dire. Aussi je me souhaite toutes sortes de crapauds plus pustuleux les uns que les autres ; quant aux souris et aux araignéesa, j’en ai plus que je n’en peux désirer.
Fouyou a déjà fait plusieurs fausses manœuvres dans son impatience de chasseur, mais j’espère qu’avant ce soir il en aura attrapé plus d’une. Il est d’une persévérance exemplaire. Rien ne saurait le distraire de son devoir de chat. Je ne connais que vous pour lutter de patience avec lui quand il s’agit de guetter des q salés. Seulement ce qui fait la vertu de Fouyou fait votre vice à vous, voilà la différence. Taisez-vous, monstre, et tâchez de trouver un parapluie de hasard pour venir me trouver. Le ciel est si couvert qu’on dirait la nuit. Bon voilà qu’il pleut averse. Si cela pouvait ne pas durer longtemps tu pourrais peut-être venir. Il est vrai que tu attends la poste à 3 h. Mais aussitôt après rien ne te retiendra plus. Si tu veux d’ici là je vais raccommoder mes zardes derrière les vitres et vous attendre imperturbablement. Il paraît que les modistes en question sont déjà parties pour Paris, mais cela n’empêchera pas le mari de rapporter toutes tes affaires à dessiner. Il suffira que j’en prévienne la mère Lanvin pour qu’elle porte le paquet chez le susdit mari la veille de son départ. Si tu avais besoin de quelque autre chose, tu n’aurais qu’à me le dire d’ici là, car il n’en coûtera pas plus de faire plusieurs commissions qu’une seule. Je te dis cela maintenant mon petit homme pour que tu y penses à temps. Et puis n’oublie pas de m’aimer toujours si tu veux que je vive.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16371, f. 379-380
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « arraignées ».

Notes

[1La pratique des bains de mer est courante sur les plages de Jersey. Dans son Journal de l’exil à la date du 23 décembre 1852, Juliette la décrit en ces termes : « Dans la saison des bains, les bords de la mer sont couverts de baigneurs et principalement sur la plage exposée au midi, que j’ai devant ma fenêtre. Les deux sexes sans se mêler positivement se côtoient d’assez près. Les mœurs anglaises s’opposent à ce que les baigneurs mettent des caleçons […] Les femmes se déshabillent et s’habillent en plein air sans rien qui les abrite contre la curiosité plus ou moins discrète du public, avec autant de tranquillité que si elles étaient dans leur cabinet de toilette. […] Du reste ce ne sont pas seulement les femmes du peuple et les bourgeoises de la ville qui se montrent avec facilité ce sont aussi les femmes du monde et les jeunes misses. », Juliette Drouet, Souvenirs. 1843-1854, texte établi, présenté et annoté par Gérard Pouchain, Des Femmes/Antoinette Fouque, 2006, p. 291-292. Juliette reproche à Victor Hugo d’observer les baigneuses avec un peu trop d’insistance.

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