Bruxelles, 25 mars 1852, jeudi matin, 8 h.
Bonjour, mon bon petit homme, bonjour mon généreux rabibocheur, bonjour. Vous êtes grand, vous êtes beau, vous êtes tout et je vous aime en tout, pour tout et de partout. Comment allez-vous ce matin ? Bien, j’espère et probablement endormi comme un loir dans le giron de vos tabatières. Dieu vous bénisse. Mais prenez garde que le diable sous sa forme Juju ne vous découvre dans cette attitude autorisée par la RÉGIE de Belgique mais défendue par mon règlement ou je vous règle votre compte d’une manière radicale et définitive. Je suis de la grande école du Chanoine Fulbert et je prépare à son Héloïse [1] des cauchemarsa où elle aura le loisir de rêver le RESTE indéfiniment. En attendant mes songes ne sont pas couleur de rose, tant s’en faut, et j’en ai fait un cette nuit qui m’a laissée un fond noir dans l’âme dont j’ai bien de la peine à me déteindre. Mais bah ! je ne veux pas vous ennuyer de mes diables bleus [2], c’est bien assez qu’ils m’en fassent voir de toutes les couleurs. Je veux être GEAIE quand même. Je rirai jaune ce soir lorsque je ne vous verrai pas à l’heure accoutumée. D’ici-là je veux être très contente, très bonne femme, très heureuse et très confiante. Tant pis pour celui qui répondra à toutes ces bonnes dispositions de corps, de cœur, d’esprit et d’âme par la trahison. Je suis bien sûre que ce ne sera pas toi mon adoré bien-aimé. Aussi je te vénère autant que je t’admire et que je t’aime. Je voudrais baiser tes pieds par respect et par adoration. Je t’aime comme un homme et comme un Dieu. Tu es la joie de mes yeux et la foi de mon âme. Mon Victor bien-aimé je te souris avec amour, je suis heureuse, je suis confiante, je n’ai plus peur de rien et j’espère tout.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16370, f. 249-250
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette
a) « cauchemard ».
Bruxelles, 25 mars 1852, jeudi après-midi, 1 h. ¼
Si tu ne dois pas sortir, mon doux bien-aimé, autant vaut que tu viennes travailler auprès de moi jusqu’à l’heure de ton dîner. Ce sera une manière de me rendre un peu de la soirée que tu me prendras ce soir. Cher petit homme, il est bien convenu que jamais je ne te priverai de toutes les distractions qui s’offriront à toi, mais il me sera bien difficile de ne pas te demander de me donner toutes les minutes dont tu peux disposer entre la distraction et le travail. Aujourd’hui par exemple, tu devrais tâcher de sortir tout le temps nécessaire à ta santé et puis s’il t’en reste pour lire ou pour écrire, le passer à côté de moi jusqu’à six heures. Cependant si cela te gêne j’ai assez de courage et de résignation pour ne pas t’en faire un reproche. Cher petit homme, demain j’aurai quelque peu mon tour. Bien peu à la vérité et le plus petit moment d’intimité vaut mieux qu’un jour partagé entre des indifférents, des curieux ou des importuns. Mais je n’en suis pas à faire la difficile et je recueille avec reconnaissance toutes les occasions d’être avec toi. Je les cherche, je les sollicite, je les implore jusqu’à l’importunité. C’est à ce point que je te supplierai de dîner avec moi demain pour peu que tu puisses le faire sans manquer à ton Charles. Ce serait si gentil de ne pas nous quitter et d’achever la journée ensemble. Mais je ne veux pas trop m’accoquiner à cette idée parce que si elle me manque, comme cela n’est que trop probable, j’en aurai trop de regret. Mon Victor, je ne veux songer qu’au bonheur de passer une couple [3] d’heures demain avec toi sous prétexte de curiosités, de pastiche et de FESTUM.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16370, f. 251-252
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette