Paris, 1er octobre 1881, midi et demi
Les préparatifs de feu faits depuis ce matin paraissent avoir piqué au jeu Monsieur le soleil qui n’a jamais été, en cette saison, plus chaud, plus rayonnant et plus gai qu’en ce moment. Je prends exemple sur lui en dépit de mes soixante-quinze hivers et mon âme n’a jamais plus flamboyéa d’amour qu’aujourd’hui. Oui, c’est ainsi, prenez-en votre parti et tâchez de suivre son exemple. Entre-temps, comme disent les Belgiquois, j’ai écrit trois lettres ce matin pour inviter à dîner mardi prochain Étienne Carjat et sa fille, Roujon et sa femme, Générès et son épouse. Ai-je bien fait mon maître ? Puis j’ai cherché et trouvé le reçu de 250 F. signé : Alvarez Baa [1].
Mme Manuel [2] t’écrit par dessus les toits pour te remercier de ton autographe. En même temps, elle te donne avis, de la part de son mari, qu’il a fait placer le pauvre Profilet de Mully [3] au lycée de Lille en cinquième et qu’il espère faire arriver bientôt à Paris, en bonne situation, le gendre de notre cher ami Paul Meurice ! Tout cela sent bien fort l’Académie !
Dites-donc, Môsieu, vous n’avez pas encore payé les gages de vos domestiques. Sans vous commander. Et vous me faites mourir de faim, ni plus ni moins que fera la pauvre Rossinante [4]. Si vous croyez que cela refait mon estomac, vous vous trompez fortement. Je vais aller vous relancer jusque dans votre antre de génie féroce.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16402, f. 221
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette
a) « flamboié ».