Paris, 15 mars [18]72, vendredi, 3 h. du s[oir]
J’avais passé une mauvaise nuit, mon cher bien-aimé, et puis je me sentais si triste et si découragée ce matin que j’ai remis ma restitus à plus tard. Bien m’en a pris, mon grand adoré, puisque, après avoir lu dans Le Rappel ton speech aux ouvriers de Vianden [1] et après avoir copié tes admirables vers sur Trochu [2] que je ne connaissais pas, je me sens retrempée dans la force et dans le courage. Les effluves de ton génie sont pour mon âme, trop souvent assombrie, ce que l’hydrothérapie est pour ton corps fatigué [3]. Elles me rendent la vigueur et l’énergie qui voudraient déserter. Enfin, mon pauvre bien-aimé, j’espère que mes forces ne me trahiront pas avant ma tâche achevée. Quant à mon cœur, je sais qu’il ne lâchera pas prise, malheureusement je ne peux répondre que de lui. Suzanne a rapporté les mille francs de Hachette en un seul billet cette fois. Je crois que nous ne serons que toi et moi à dîner ce soir, ce qui me permettra de te parler un peu ménage. Il va falloir penser sérieusement à remplacer Henriette qui s’en va à l’expiration de son mois, le 7 avril. J’ai besoin sur tout cela d’en causer avec toi et je saisis le premier joint qui s’offre. Je ne te prie pas de me faire sortir puisque c’est impossible en ce moment. Dès que tu le pourras sans déranger ton travail, je crois que cela me fera du bien. Je t’aime.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 74
Transcription de Guy Rosa