Paris, 10 mars [18]72, dimanche matin, 7 h.
Patronminette et moi, cher bien-aimé, nous t’envoyons notre bonjour le plus frais, le plus guilleret et le plus tendre. Tu ne saurais croire quel plaisir j’éprouve à me lever de bonne heure et à respirer, faute de mieux, le grand air de Paris. Que serait-ce donc si c’était celui de Guernesey ? D’y penser, l’eau m’en vient à la bouche ! Quel dommage qu’on ne puisse pas décider Petit Georges et Petite Jeanne à en tâter un peu de ce bon et beau Guernesey ! Un jour viendra, espérons-le, où tout ton monde, grands et petits, sentira le besoin de revoir cette quasi petite patrie. En attendant je me résigne facilement à faire mon bonheur dans Paris. Partout où tu m’aimeras la vie me sera bonne et heureuse. Ainsi, mon adoré bien-aimé, ne te préoccupe de moi qu’à ce point de vue-là : mon horizon, mon soleil, ma joie, c’est ton amour. Le jour où il me manquerait, je n’aurais plus d’autre besoin que six pieds de terre dans le coin le plus oublié. J’espère que tu as passé une bonne nuit et Petite Jeanne aussi. J’attends le moment d’envoyer Suzanne prendre les nouvelles de vous tous. Je t’adore.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 69
Transcription de Guy Rosa
[Guimbaud, Souchon, Massin]