Paris, 22 avril 1881, vendredi matin, 7 h. ½
Puisque tu as passé une bonne nuit, puisque tu m’aimes et que je t’adore, remercions Dieu et soyons heureux. Quant à moi, je me sens en verve de bonheur depuis que je me suis délivrée du poids de ton ancien bienfait [1]. Il me pesait comme un remords bien que je n’en aie jamais été complice, maintenant qu’il n’est plus qu’un souvenir de ta grande prévoyante bonté pour moi, je le garderai pieusement et fièrement dans mon cœur jusqu’à ce que je l’emporte au ciel.
Cher bien-aimé, je reprends ma fonction de scie pour te rappeler que tu as un manuscrit à chercher aujourd’hui pour le donner demain à Paul Meurice qui doit venir le chercher. Il paraît que cela presse beaucoup dans l’intérêt même de la prochaine publication de ton nouveau chef-d’œuvre [2]. Voilà ce que j’ai promis de te dire. À toi, maintenant, d’en faire ce que tu voudras.
Le temps est horrible ce matin. Il tombe une neige fondue navrante à voir et qui fige la moelle dans les os. Tu feras bien de te tenir clos et couvert auprès de ton feu aujourd’hui, c’est-à-dire auprès de moi qui t’aime feu et flamme, cœur et âme.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16402, f. 87
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette