4 avril 1881

Paris, 4 avril 1881, lundi matin, 8 h.

Pauvre grand adoré, il me serait difficile de dire ce matin laquelle de nos deux nuits a été la pire. Mais, ce que je sais, et ce dont je suis convaincue jusqu’au fond du cœur, c’est que je donnerais le peu de temps qu’il me reste à vivre pour t’épargner un jour de souffrance. Ce n’est pas une façon de parler, c’est la sincère, tendre et sainte vérité comme Dieu la voit.
Le temps persistant dans son inclémence il faut de toute nécessité, mon grand petit homme, que tu voies un médecin ; celui que tu voudras, peu importe, puisque ton mal est de ceux de la saison et le plus simple du monde à la condition de ne pas le laisser s’aggraver^a faute de quelques soins intelligents que le premier médecin venu t’indiquera^b à coup sûr à première vue.
Cette concession toute de complaisance, faite de ta part à la sollicitude de tous ceux qui t’aiment, me tranquillisera, moi qui t’adore et je pourrai te sourire sans efforts et sans contrainte.
En attendant, mon doux adoré, tu fais bien de t’abstenir d’aller à la représentation de M^me Maroteau [1], que ton nom patronne, d’ailleurs, suffisamment pour l’honneur et pour le profit que la pauvre femme en retirera si justement ; sans compter la présence personnelle de M^me Lockroy et de tes deux adorables représentants Georges et Jeanne. Nous, pendant ce temps-là, nous soignerons ton rhume au coin d’un bon feu et nous aimant de toute notre âme.

[Adresse]
Monsieur Victor Hugo

BnF, Mss, NAF 16402, f. 70
Transcription de Caroline Lucas assistée de Florence Naugrette

a) « agraver ».
b) « indiqueras ».